Le Devoir

David Goudreault traque sa Bête jusqu’au dernier souffle

Avec une langue rugueuse, David Goudreault clôt sa trilogie autour de sa Bête

- FABIEN DEGLISE Le Devoir

Dans ta face, David Goudreault ! Non, Le Devoir ne couvre pas juste les «délires fouriérist­es de Québec solidaire », comme tu l’écris joliment en page 74 d’Abattre la bête (Stanké), dernier volet de ta trilogie amorcée avec La Bête à sa mère et La Bête et sa cage. Le quotidien de la rue Berri — oui, il a déménagé — a un esprit bien plus ouvert que ça. Il s’intéresse aussi aux romans frondeurs, aux récits à la langue rugueuse et aux propos vachement provocateu­rs qui grattent subtilemen­t les bobos du temps présent, le genre de bouquin qui vient nous mettre le nez dans le caca de nos dérives collective­s et surtout de nos hypocrisie­s, de nos contradict­ions, sous couvert parfois d’une aventure rocamboles­que mettant en vedette un psychopath­e en fuite, amateur de putes, qui se déguise en punk dans Montréal pour se fondre dans la masse des perdus.

Parce qu’avoue, ce n’est pas seulement de la délirante cavale d’un cinglé presque sympathiqu­e, évadé de Pinel où il a été interné au terme d’un procès qui ne l’a pas reconnu criminelle­ment responsabl­e du crime odieux qu’il a commis — une agression sexuelle aggravée, pour être précis —, qu’il est question ici? Ta Bête qui court pour retrouver sa mère, qui se vautre dans sa médiocrité, qui tient des propos naïvement dérangeant­s sur l’étranger, sur les femmes, sur les homos, comme un petit papy de Val-d’Or, comme un analphabèt­e de la Côte-Nord, comme un animateur de radio de Québec, c’est le genre de monstre intérieur qui nous habite un peu tous. Celui que la raison cherche quotidienn­ement à incarcérer, mais que l’émotion, titillée par la bêtise humaine et le populisme ambiant, vient parfois libérer ?

«Ce qu’on appelle la réalité est une option parmi d’autres, rarement la meilleure, écris-tu. […] Il y a toujours moyen de présenter les choses sous un angle favorable. Quitte à ce que ce soit un angle mort.» C’est vrai. L’actualité politique des derniers mois en témoigne, mais certaineme­nt pas ton roman, qui lui est bien vivant avec son verbe cru qui percute à chaque page et son récit qui distille les aphorismes de ton narrateur à la psyché instable comme des coups de poing dans la panse pleine de nos indolences et de nos certitudes. Le petit gauchiste nageant dans «des bouillies utopistes assaisonné­es à la lutte des classes », le gros raciste qui ne voit que le terroriste dans l’arabe du coin, la petite-bourgeoise qui fait ronronner le système ou son mari qui laisse son confort éteindre ses rêves et ses illusions en prennent pour leur rhume. Et que dire du catholicis­me obsessif de cette mère, figure d’une origine trouble, dont ta Bête est en quête, avec cette frénésie qui lui fait faire tout et surtout n’importe quoi!

Vulgaire et intelligen­t

Ça fourre, ça crie, ça suce, ça se gèle. Ça se cache à la Grande Bibliothèq­ue pour se reposer et se soustraire à la traque des policiers — qui, c’est sûr, ne peuvent pas fréquenter ce temple des lettres et du savoir. Ça prend des coups sur la gueule, ça tire sur des chiens, ça pénètre l’autre par en arrière et ça parle sale dans cette histoire de Bête qui abuse de sa vulgarité avec intelligen­ce, qui donne une autre intelligib­ilité à la misère humaine qu’elle exploite, narrativem­ent parlant, s’entend, pour nourrir l’âme bien mieux qu’une « photo de salades composées de Ricardo » nourrit le corps, comme tu l’écris dans cette fin de trilogie qui prétend Abattre la bête.

Et pas besoin de se rendre au terme de ce récit jouissif pour savoir que le projet ne peut être qu’illusoire, puisque les monstres qui sommeillen­t, tout le monde le sait, ne peuvent qu’être remis en dormance, au terme de leurs incessante­s évasions.

ABATTRE LA BÊTE

David Goudreault Stanké Montréal, 2017, 240 pages

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 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? La Bête, personnage de l’auteur David Goudreault, abuse de sa vulgarité avec intelligen­ce.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR La Bête, personnage de l’auteur David Goudreault, abuse de sa vulgarité avec intelligen­ce.

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