Le Devoir

Un western en fauteuil roulant

Marthe Pelletier brode avec humour un récit où l’aventure va au-delà des handicaps

- MARIE FRADETTE Collaborat­rice Le Devoir COEURS DE COW-BOYS ★★★1/2 Marthe Pelletier La courte échelle Montréal, 2017, 128 pages

Marthe Pelletier et Richard Écrapou, duo qui nous a donné Le méchant qui voulait être pire en 2016, rejouent leur thème fétiche du western tout en abordant une réalité bien concrète.

Été 1970, Farès, 12 ans et trois quarts, coule des jours heureux au Ranch de la Montagne, un hôtel en bordure du désert acheté par ses parents. Dans cette oasis, il joue le rôle de chef d’une petite bande de cow-boys, au sein de laquelle se trouve Wilfredo, fidèle ami du héros, qui vient inconditio­nnellement passer ses vacances au ranch.

Mais dans ce Far West tout droit sorti d’une bande dessinée, le quotidien des personnage­s n’a pourtant rien de commun. Par nécessité, Farès, tétraplégi­que, troque la monture originale pour un fauteuil roulant. Ce jeune chevalier, valeureux et fonceur, est loin de se laisser arrêter par les quelques obstacles qui se posent sur son chemin. Aidé de Wilfredo, il organise même des randonnées pendant lesquelles « les jeunes de la bande […] écument le désert en quête d’aventures, comme se balader par les nuits sans lune, chasser les coyotes et les serpents et d’autres activités du même genre, tout à fait palpitante­s». Puis, arrive Ophélie, celle-là même que Farès a aperçue en rêve, à la seule différence qu’elle porte des orthèses tibiales beiges et des bottes de cow-boy bleues et non rouges. Tout est là pour qu’il tombe amoureux.

Décloisonn­er le genre

Inspirée par des enfants lourdement handicapés qu’elle a rencontrés, Marthe Pelletier brode ici avec humour, et un angle tout à fait singulier, une histoire fictive autour de leur réalité. Sans jamais tomber dans le mélodrame ou la pitié, elle use tout au contraire de beaucoup de finesse et offre une image lumineuse de ces jeunes. Grâce à elle, ces Ophélie, Farès et Wilfredo deviennent les grands acteurs d’un film dont ils sont les héros. Exemples de bravoure, ils sont d’ailleurs photograph­iés tout sourire en fin de récit, assurant un lien palpable entre le réel et l’aventure.

L’écriture de Pelletier relève beaucoup de la forme scénaristi­que faite de commentair­es sur l’action, informant le lecteur des événements à venir, décrivant avec détails le décor et l’atmosphère mis en place pour chacune des scènes. Cette formule se mêle à des chansons et des lettres écrites par Ophélie, un changement de voix narrative qui assure le dynamisme de l’ensemble tout en créant un effet inattendu et stimulant. Et à tout cela s’ajoute le trait bédéesque de Richard Beaulieu, alias Écrapou. Ses illustrati­ons très typées nous plongent instantané­ment dans un décor de film western tout droit sorti d’un épisode de Lucky Luke.

Combiner l’univers de cowboys, libres et sans lois à celui bien différent des enfants confinés à leur fauteuil décloisonn­e le genre et crée une rencontre tout à fait improbable et rafraîchis­sante.

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