Les tribulations d’un artilleur québécois en zone de Grande Guerre
De Valcartier à Arkhangelsk, Oliva Cinq-Mars raconte l’horreur de la guerre de 14-18 au-delà des clichés de Vimy
Pour le premier ministre Justin Trudeau, la bataille de Vimy serait l’acte fondateur du Canada sur la scène internationale. Le combat dont on célèbre le centième anniversaire n’a pourtant pas marqué Oliva Cinq-Mars. En 1917, l’artilleur québécois est davantage impressionné par le bain de sang de Passchendaele. «Vimy, c’était un “pleasure party” à comparer à cette affaire», écrit le vétéran dans ses mémoires inédits, De Valcartier à Arkhangelsk, présentés par l’historien Michel Litalien.
Le jeune homme veut en découdre avec les «Boches» dès le début du conflit. Pour s’enrôler, il doit toutefois obtenir l’autorisation écrite de son épouse. « C’était presque un consentement de divorce que l’on demandait à nos femmes de signer. » Le va-t-en-guerre élabore un stratagème à bord du tramway qui le ramène chez lui dans le quartier populaire de Saint-Henri. «Comme ce papier était en anglais et que ma femme ne lisait que le français, j’ai réussi à la faire signer. Je passe sous silence le mensonge que j’ai dû inventer…»
Papier en main, Oliva Cinq-Mars met le cap sur Valcartier. La base militaire récemment aménagée au nord de Québec est déjà envahie par des salles de cinéma, des studios de photographes et des boutiques de babioles. «Partout où il y a des soldats, il y a de l’argent à faire», se désole la recrue qui rêve de gloire. « Tous, nous désirions partir au plus vite afin de devenir des héros.»
Sur la ligne de feu
Oliva Cinq-Mars est intégré dans une unité d’artillerie anglophone déployée dans le nord de la France. On le retrouve notamment sur la Somme, à Vimy et à Passchendaele. L’artilleur regrette rapidement le calme du camp de Valcartier qu’il a quitté « si joyeusement » pour avoir du « fun », «et quel fun j’avais!», ironise-t-il au milieu des obus.
En ce début du XXe siècle, les canons sont encore tirés par des chevaux ou à bras d’homme lorsque le sol est liquéfié par la pluie ou les bombardements. Les nouvelles armes font une timide apparition sur le champ de bataille. Tandis que les zeppelins allemands lâchent leurs bombes jusqu’à Londres, les chars d’assaut britanniques déferlent sur la Somme. «Nous sommes très surpris de voir ces machines», note simplement l’auteur dans ses mémoires qui nous laissent parfois sur notre faim.
La victoire de Passchendaele coïncide avec la Révolution d’octobre à Moscou. Pour enrayer la progression des bolcheviques, les alliés dépêchent un corps expéditionnaire dans le nord de la Russie. Oliva Cinq-Mars s’y engage pour s’extirper de la morosité du front français. S’il vante les exploits de ses camarades, l’artilleur est moins fier de leurs exactions au coeur de la guerre civile russe. « Je passe sous silence ce qui s’est passé sur la Volga, certains actes qui ne sont pas tout à fait à l’honneur des troupes canadiennes et dont il est préférable de ne pas parler.»
Oliva Cinq-Mars sort indemne du conflit. Son analyse géopolitique de la Grande Guerre fait aujourd’hui sourire. «S’ils avaient été victorieux [les Allemands] n’auraient-ils pas exigé le Canada comme l’Angleterre et la France ont exigé d’eux des colonies», s’interroge le vétéran
«
Les pauvres chevaux attachés dehors à la belle étoile, au froid et à la pluie, tremblaient continuellement. Que la guerre était dure pour les pauvres bêtes qui pourtant se fichaient de
guerre.» savoir qui gagne ou perd la Extrait de De Valcartier à Arkhangelsk
décédé à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. «Je me demande des fois si l’on ne serait pas tous mieux morts, plutôt que de vivre sous la domination des Allemands. » DE VALCARTIER À ARKHANGELSK MÉMOIRES DE CAMPAGNE D’UN ARTILLEUR
DU QUÉBEC (1914-1919) ★★★
Oliva Cinq-Mars Athéna Montréal, 2017, 201 pages