Trois revendications pour les travailleurs
Syndicats et organisations communautaires sont réunis cette année pour le 1er mai sous la bannière de la campagne 5–10–15 afin de porter trois revendications communes.
Le collectif réclame le droit pour tous les travailleurs québécois de connaître leur horaire de travail au moins cinq jours à l’avance, en plus de bénéficier de 10 jours de congés payés par année pour cause de maladie ou de responsabilités familiales, ainsi que l’augmentation du salaire minimum à 15 $ l’heure.
Selon la coalition, ce sont là trois mesures phares pour contribuer à réduire la pauvreté et pour aider les travailleurs à concilier vies professionnelle et familiale. Ces revendications seront au coeur des activités organisées un peu partout dans la province ce lundi 1er mai, dont la grande marche de Montréal et
les manifestations à Québec et à Sherbrooke (30 avril).
Selon Pierre-Antoine Harvey, économiste à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et chercheur associé à l’IRIS, «l’implantation du salaire minimum à 15$ l’heure profiterait non seulement aux travailleurs, mais aussi à l’État, en lui permettant de dégager près d’un milliard de dollars ».
Le chercheur déplore qu’actuellement, le gouvernement doive plutôt débourser 300 millions en transferts aux travailleurs, comme la prime au travail et le crédit d’impôt pour solidarité. «Implicitement, le patronat reconnaît que les salaires sont trop bas, mais il dit que ce n’est pas son rôle de sortir les gens de la pauvreté, que c’est au gouvernement de payer», dit-il.
Au contraire, augmenter le salaire minimum à 15$ l’heure permettrait à son avis non seulement d’épargner sur les transferts, mais aussi de collecter davantage d’impôt sur le revenu. «Sans compter que la consommation aussi augmenterait, donc le gouvernement encaisserait plus de taxes sur les produits et services», indique-t-il.
Contrepoids
Si Pierre-Antoine Harvey ne nie pas les impacts économiques négatifs que pourrait causer la hausse du salaire minimum, notamment chez les industriels exportateurs, il estime que des mesures ciblées, financées à partir du milliard de dollars dégagé, suffiraient à les atténuer.
Dans un premier temps, il tient à préciser que 90% des emplois au salaire minimum au Québec se trouvent plutôt dans les services — contre seulement 10 % dans le secteur manufacturier — et que tous les industriels ne sont
«Implicitement,
le patronat reconnaît que les salaires sont trop bas, mais il dit que ce n’est pas son rôle de sortir les gens de la pauvreté, que c’est au gouvernement de payer Pierre-Antoine Harvey, économiste à la CSQ
pas exportateurs.
Au bout du compte, l’économiste prédit de 1 à 2% de pertes d’emplois parmi le million de Québécois gagnant actuellement moins de 15$ l’heure, et ce, principalement chez les travailleurs non qualifiés. «Nous pourrions tout à fait investir dans la formation de cette maind’oeuvre avec les sommes dégagées», estime le chercheur.
Ce n’est pas innocent si la campagne 5–10–15 a été lancée en octobre dernier, à l’occasion de la Journée mondiale d’action pour le travail décent. Et la pauvreté des gagne-petit est un phénomène touchant davantage les femmes, encore aujourd’hui.
« Quand on parle d’équité salariale, il s’agit effectivement de comparer des postes comparables, mais pas seulement. Il faut aussi viser l’égalité de revenu, or les femmes sont majoritaires à occuper les emplois peu rémunérés, que ce soit au salaire minimum ou à moins de 15$ l’heure», indique Mélanie Gauvin de l’organisme Au bas de l’échelle.
Elle rappelle que ces travailleuses oeuvrent principalement dans les secteurs de la restauration et de l’hébergement, du commerce au détail et des soins aux personnes, par exemple à titre de préposées aux bénéficiaires. « L’an dernier, au Québec, près de 60% des personnes gagnant moins de 15$ l’heure étaient des femmes», indique-t-elle.
Une revendication féministe, l’augmentation du salaire minimum à 15$ l’heure? Oui, tout comme la revendication «10» pour 10 jours de congés payés pour motifs familiaux ou de santé. Si la Loi sur les normes du travail les prévoit déjà, ils sont pour l’instant non rémunérés. Or Mélanie Gauvin souligne qu’ils sont encore très majoritairement pris par les femmes. « En 2016, les femmes
se sont absentées du travail en moyenne 74 heures pour des obligations familiales ou des motifs de santé, contre seulement 19,6 heures pour les hommes», indique-t-elle.
Marché du travail 2.0
La porte-parole d’Au bas de l’échelle aborde également l’enjeu de la disponibilité absolue de l’employé telle qu’elle est désormais exigée, ce qui augmente la précarisation du travail. C’est le fameux «5» de la campagne 5–10– 15, pour horaire fourni par l’employeur au minimum cinq jours à l’avance.
« La Loi sur les normes du travail est dépassée; on y prévoit des mécanismes de refus pour les heures supplémentaires, mais rien qui protège le travailleur ne connaissant pas son horaire de travail à l’avance, déplore-telle. Celui-ci doit offrir toute la flexibilité du monde, sans garantie de stabilité en retour. Et il peut être pénalisé en cas de refus. Si l’on pense aux agences de placement, ça peut aller jusqu’à ne plus être rappelé. Le marché du travail a changé, mais pas la loi. »
Et ce problème ne concerne pas seulement les travailleurs non syndiqués, estime Mme Gauvin, puisque «les dispositions concernant l’horaire connu au moins cinq jours d’avance ne sont pas nécessairement incluses dans toutes les conventions collectives».
Front commun
Il n’est pas exceptionnel, selon la porte-parole, que les centrales syndicales et le milieu communautaire s’associent pour porter des revendications plus larges, ayant un fort impact social. «Pour notre part, on souhaite l’instauration du salaire minimum à 15$ l’heure le plus rapidement possible [celui-ci passera à 11,25 $ le 1er mai, une hausse de 50 cents], mais on ne veut pas non plus s’enfermer dans un échéancier, dit-elle. Il demeure que le gouvernement avait la marge de manoeuvre nécessaire pour une augmentation beaucoup plus substantielle cette année. »
Du côté des partis de l’opposition, la mesure obtient l’appui formel de Québec solidaire et du Parti québécois, selon Pierre-Antoine Harvey, JeanFrançois Lisée s’étant positionné en sa faveur durant la dernière course à la direction du Parti québécois. «Même la Coalition avenir Québec ne doit pas être si réfractaire à l’idée puisque son chef ne cesse de parler de la nécessité de créer des bonnes jobs », ironise-t-il.
Une chose est sûre, il sera question du salaire minimum pendant la prochaine campagne électorale provinciale, prévue en 2018. D’ici là, les membres de la coalition entendent bien multiplier les démarches auprès des élus.
«Les femmes sont majoritaires à occuper les emplois peu rémunérés, que ce soit au salaire minimum ou à moins de 15$ l’heure»