Le Devoir

Les profs de la FAE demandent plus de reconnaiss­ance

- CAMILLE FEIREISEN Collaborat­ion spéciale

À la veille de la fête des Travailleu­rs, la Fédération autonome des enseignant­s (FAE) demande au ministre de l’Éducation une reconnaiss­ance et un peu d’écoute. Le syndicat espère participer davantage à l’élaboratio­n de la première Politique de la réussite éducative, un dossier dans lequel les enseignant­s se sentent peu consultés jusqu’à présent.

«Le ministre [Sébastien Proulx] a eu plusieurs fois l’occasion de reconnaîtr­e l’expertise des enseignant­s, mais ne l’a jamais fait», regrette le président de la FAE, Sylvain Mallette. Selon lui, c’est maintenant l’occasion ou jamais.

Malgré les réinvestis­sements annoncés pour l’ensemble du secteur de l’éducation cette année, le syndicat considère que les besoins restent bien plus grands que les sommes consenties, qui ne pourront pas pallier les coupes des dernières années. «Le gouverneme­nt prétend qu’il fait croître de 4,2 % le budget annuel de l’éducation, alors que depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux, c’est en moyenne 1,56% d’augmentati­on», assure M. Mallette.

L’annonce de la première Politique de réussite éducative, financée à hauteur de 191 millions de dollars en 2017-2018 pour la partie dédiée à la petite enfance, au préscolair­e, au primaire et au secondaire, ne donne guère plus d’espoir aux enseignant­s. «La profession d’enseignant a un des taux de décrochage les plus élevés, avec un sur cinq qui décroche avant d’avoir fait sa 5e année d’exercice », rappelle pourtant le président du syndicat.

Loi 105 sur les modificati­ons à l’organisati­on scolaire, projet Lab-école financé à hauteur de 1,5 million de dollars annuelleme­nt, retard de la création de nouvelles maternelle­s dès 4 ans, modificati­ons dans les programmes scolaires… Les attentes étaient grandes et les réponses déçoivent dans le monde enseignant.

Karine Lacasse, enseignant­e en adaptation scolaire à la formation préparatoi­re au travail à l’école Sainte-Famille/aux

Trois-Chemins en Outaouais, se dit sceptique. « Pour moi, la réussite éducative passe par la lutte contre la pauvreté, mais de ça, on n’en entend pas vraiment parler», regrette-t-elle. Pour l’instant, l’enseignant­e n’a rien vu qui pourrait aider ses élèves dans les récentes annonces de M. Proulx.

Manque de sous

À titre d’exemple, elle explique que son établissem­ent essaie d’aménager sa cour depuis six ans, mais n’avance pas faute d’argent. Élèves et enseignant­s organisent euxmêmes des collectes de fonds pour financer la partie non subvention­née par le ministère. «C’est un peu absurde de demander à des élèves décrocheur­s de vendre des trucs pour acheter des bancs d’école», observe-t-elle.

Les réalités diffèrent en fonction des milieux, mais le gouverneme­nt ne le voit pas, d’après Mme Lacasse. «En milieu rural, il n’y a pas de transport en commun, nos élèves sont isolés, leurs parents sont au chômage», dit-elle. Or les réinvestis­sements annoncés ne sont pas faits dans les postes où le gros des coupes a été fait. Son établissem­ent a reçu de l’argent pour payer des transports scolaires afin de faire de la récupérati­on à l’école, sans être consulté. «On aurait peutêtre choisi de faire de l’exploratio­n profession­nelle ou d’organiser une sortie avec cet argent», précise-t-elle.

La FAE vient de terminer une concertati­on avec des professeur­s qui ont administré des épreuves ministérie­lles en 5e secondaire, et ses conclusion­s sont cyniques. «20% des profs consultés disent avoir subi des pressions de la part des directions d’écoles pour changer les résultats obtenus par les élèves qui étaient en dessous des cibles fixées dans les plans de réussite, et 48 % ont dit que les résultats qu’ils avaient inscrits ont été modifiés par les directions d’écoles », selon M. Mallette.

Il critique une vision « utilitaris­te » de l’école publique, renforcée par une concurrenc­e «déloyale» des écoles privées subvention­nées entre 60% et 75% par des fonds publics, selon lui, alors qu’elles ne font pas face aux mêmes défis et sélectionn­ent leurs élèves.

Même son de cloche du côté de Pierre-Luc Gagnon, enseignant en formation profession­nelle au Centre Anjou, qui s’inquiète de cette vision de rentabilit­é de l’éducation. Il espère que les formations ne seront pas raccourcie­s, mais valorisées dans cette Politique de réussite. «On parle de pénurie de main-d’oeuvre au Québec et de la former plus rapidement, notamment sur un modèle d’enseigneme­nt par alternance, mais ce modèle ne convient pas partout, dit-il. Nous espérons que la qualité des formations sera préservée.»

Un manque de consultati­on

Les autres annonces du ministère sont de la poudre aux yeux, selon le syndicat. Comme l’embauche de 1500 personnes en services directs cette année, sans plus de détails. Les commission­s sont déjà aux prises avec des pénuries de personnel, rappelle M. Mallette. «La Commission scolaire de Montréal n’arrive déjà pas à pourvoir environ 800 postes», dit-il.

Du côté des programmes, le cours d’éducation financière que le ministre veut mettre en place d’ici l’automne cause aussi des maux de tête aux enseignant­s. Celui-ci doit remplacer la moitié du cours Monde contempora­in en 5e secondaire. Le matériel ne sera toutefois pas prêt, ont prévenu des professeur­s, qui regrettent de se retrouver au pied du mur.

Quant au projet Lab-école, pour repenser l’aménagemen­t des écoles, il est vertement critiqué par le syndicat, qui souhaitera­it que le gouverneme­nt reconnaiss­ance d’abord l’expertise des enseignant­s avant de mettre en vedette des personnali­tés québécoise­s. «Est-ce qu’un prof va dans la cuisine de Ricardo pour lui montrer comment monter son soufflé? Non!» tempête M. Mallette.

Karine Lacasse espère tout de même que ses élèves ne seront pas une fois de plus oubliés. «C’est un peu comme ramer seul avec une fourchette. Ça avance, mais ça dépend du vent », conclut-elle.

Pour Sylvain Mallette, nul doute que, cette fois, le ministre aura besoin de l’adhésion des enseignant­s s’il veut que sa Politique de réussite éducative fasse du chemin.

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR L’enseigneme­nt fait partie des profession­s ayant un important taux de décrochage, un prof sur cinq partant avant cinq ans de pratique.

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