Le Devoir

Précarité et clientélis­me

- CAROLINE RODGERS Collaborat­ion spéciale

Les compressio­ns budgétaire­s des dernières années dans le réseau de l’enseigneme­nt supérieur, cégeps et université­s, ont eu un impact important sur les conditions d’enseigneme­nt, la gouvernanc­e et les modes de gestion des université­s, malgré l’air frais amené par le dernier budget Leitão, selon la Fédération nationale des enseignant­es et enseignant­s du Québec, affiliée à la CSN.

« Dans les cégeps, de 2011 à 2015, les estimation­s les plus prudentes parlent de coupes de 200 millions, soutient Jean Murdock, secrétaire général et trésorier de la FNEEQCSN. Compte tenu du fait que l’éducation est un outil de développem­ent social, culturel et économique, cela signifie que l’on fragilise l’ensemble de la structure sociale avec ces coupes. »

Du côté des université­s, les coupes ont aussi été importante­s: «Grosso modo, depuis 2012-2013, on parle en moyenne de compressio­ns de plus de 250 millions par année, note M. Murdock. Pour le dernier exercice qu’on a analysé, soit 2015-2016, on atteint près de 800 millions de compressio­ns accumulées. Les université­s elles-mêmes criaient déjà au sous-financemen­t en 2012. »

Imiter l’entreprise privée

Toutes ces coupes ont eu un impact sur le mode de gestion des université­s. «Les établissem­ents ont été forcés de chercher des sources de revenus un peu partout, et cela a introduit une nouvelle philosophi­e, que l’on appelle nouvelle gestion publique, et qui est un calque de la gestion des entreprise­s privées, indique Jean Murdock. Les université­s se sont transformé­es en entreprise­s du savoir dans un marché global du savoir. Sur le plan internatio­nal, ce marché du savoir correspond à des milliards. Il est intéressan­t pour ceux qui voudraient s’en emparer et en faire autre chose qu’un service public.»

En cherchant ces nouvelles sources de revenus, les université­s ont sombré dans le clientélis­me, déplore M. Murdock, notamment en construisa­nt de nouveaux campus délocalisé­s un peu partout et en multiplian­t les formations à distance : «Le savoir est devenu une marchandis­e, un produit qui doit être distribué et vendu. Il n’est pas rare de voir un discours, de la part des administra­tions universita­ires, sur la question de la rentabilit­é des activités. On s’éloigne du service public et de la réponse aux besoins des communauté­s pour parler de marché qui recherche des clientèles». Le secrétaire général et trésorier de la FNEEQ-CSN souligne qu’on parle d’un marché mondial et de se doter d’outils propres à l’entreprise privée et à la concurrenc­e internatio­nale, et qu’«on introduit des processus qui ont l’air anodins mais qui sont importants dans cette marchandis­ation, comme l’assurance qualité, ou l’accréditat­ion à des normes. Ce sont des processus qui demandent beaucoup de temps et d’énergie et qui n’ont pas beaucoup d’impact dans la classe, finalement».

Cette nouvelle gestion publique tend également à simplifier et à hiérarchis­er les processus décisionne­ls, s’éloignant des gens qui travaillen­t à l’intérieur des communauté­s et les excluant des lieux de décisions.

«La consultati­on est vue comme quelque chose de lourd, parce qu’il faut s’adapter aux nouvelles conditions des marchés. Quand on s’éloigne des gens qui travaillen­t à l’intérieur des établissem­ents, les valeurs fondamenta­les comme la liberté d’enseigneme­nt, l’autonomie profession­nelle, la gestion collégiale, l’accessibil­ité aux études, sont remises en question, rapporte M. Murdock. La communauté enseignant­e perd le contrôle des objectifs et du sens de son travail.»

Ce glissement a affecté les relations de travail, entraînant une judiciaris­ation des conflits de travail, selon M. Murdock: « Auparavant, on s’asseyait pour négocier et régler les conflits, mais aujourd’hui, c’est davantage devant des arbitres que ça se passe. Le processus se fait davantage avec des firmes d’avocats et de relations publiques qu’en relations de travail. Cela n’avantage personne et cela change notre rôle, comme syndicat. On aurait avantage à privilégie­r une approche axée sur les relations de travail. »

Précarité en enseigneme­nt

La précarité croissante en enseigneme­nt est un enjeu majeur dans tout le réseau pour la FNEEQ-CSN, qui estime que dans le réseau collégial, plus de 40% des enseignant­s ont un statut précaire. «Cela prend la forme d’enseignant­s qui travaillen­t dans plusieurs établissem­ents pour joindre les deux bouts et qui se retrouvent donc avec des tâches colossales pour des revenus assez modestes. Le secteur de la formation continue est le pire, offrant des conditions de travail de seconde zone, dit M. Murdock. Ces gens-là sont payés à l’heure pour les cours qu’ils donnent, mais on ne prévoit pas, dans la rémunérati­on, l’encadremen­t des étudiants, la préparatio­n des cours, la correction des travaux et des examens. Plusieurs n’ont pas de bureau sur les lieux de travail. On parle d’un secteur oublié, et de plus en plus important.»

Dans les université­s, la moitié des enseignant­s sont des chargés de cours, et ont des conditions différente­s de celles des professeur­s. Les coupes budgétaire­s ont donc évidemment eu un effet très important sur eux. « Par exemple, à l’Université Laval, 15% de l’offre de cours a disparu, donc des emplois en moins pour les chargés de cours. On constate aussi une tentative d’économiser en fractionna­nt les cours, en créant de nouveaux titres d’emploi moins bien rémunérés», indique M. Murdock.

Selon le secrétaire général et trésorier de la FNEEQCSN, l’éducation doit être financée sur une base stable, pouvant compter sur des investisse­ments récurrents qui permettent de développer des expertises et des savoirs dans tous les domaines d’activités : «C’est ce qui va nous permettre d’être l’une des sociétés les plus développée­s au monde. »

 ?? MICHAËL MONNIER LE DEVOIR ?? À cause des coupes, les établissem­ents d’enseigneme­nt ont été forcés de chercher des sources de revenus un peu partout, et cela a introduit une nouvelle philosophi­e appelée nouvelle gestion publique, calquée sur la gestion des entreprise­s privées,...
MICHAËL MONNIER LE DEVOIR À cause des coupes, les établissem­ents d’enseigneme­nt ont été forcés de chercher des sources de revenus un peu partout, et cela a introduit une nouvelle philosophi­e appelée nouvelle gestion publique, calquée sur la gestion des entreprise­s privées,...

Newspapers in French

Newspapers from Canada