Précarité et clientélisme
Les compressions budgétaires des dernières années dans le réseau de l’enseignement supérieur, cégeps et universités, ont eu un impact important sur les conditions d’enseignement, la gouvernance et les modes de gestion des universités, malgré l’air frais amené par le dernier budget Leitão, selon la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec, affiliée à la CSN.
« Dans les cégeps, de 2011 à 2015, les estimations les plus prudentes parlent de coupes de 200 millions, soutient Jean Murdock, secrétaire général et trésorier de la FNEEQCSN. Compte tenu du fait que l’éducation est un outil de développement social, culturel et économique, cela signifie que l’on fragilise l’ensemble de la structure sociale avec ces coupes. »
Du côté des universités, les coupes ont aussi été importantes: «Grosso modo, depuis 2012-2013, on parle en moyenne de compressions de plus de 250 millions par année, note M. Murdock. Pour le dernier exercice qu’on a analysé, soit 2015-2016, on atteint près de 800 millions de compressions accumulées. Les universités elles-mêmes criaient déjà au sous-financement en 2012. »
Imiter l’entreprise privée
Toutes ces coupes ont eu un impact sur le mode de gestion des universités. «Les établissements ont été forcés de chercher des sources de revenus un peu partout, et cela a introduit une nouvelle philosophie, que l’on appelle nouvelle gestion publique, et qui est un calque de la gestion des entreprises privées, indique Jean Murdock. Les universités se sont transformées en entreprises du savoir dans un marché global du savoir. Sur le plan international, ce marché du savoir correspond à des milliards. Il est intéressant pour ceux qui voudraient s’en emparer et en faire autre chose qu’un service public.»
En cherchant ces nouvelles sources de revenus, les universités ont sombré dans le clientélisme, déplore M. Murdock, notamment en construisant de nouveaux campus délocalisés un peu partout et en multipliant les formations à distance : «Le savoir est devenu une marchandise, un produit qui doit être distribué et vendu. Il n’est pas rare de voir un discours, de la part des administrations universitaires, sur la question de la rentabilité des activités. On s’éloigne du service public et de la réponse aux besoins des communautés pour parler de marché qui recherche des clientèles». Le secrétaire général et trésorier de la FNEEQ-CSN souligne qu’on parle d’un marché mondial et de se doter d’outils propres à l’entreprise privée et à la concurrence internationale, et qu’«on introduit des processus qui ont l’air anodins mais qui sont importants dans cette marchandisation, comme l’assurance qualité, ou l’accréditation à des normes. Ce sont des processus qui demandent beaucoup de temps et d’énergie et qui n’ont pas beaucoup d’impact dans la classe, finalement».
Cette nouvelle gestion publique tend également à simplifier et à hiérarchiser les processus décisionnels, s’éloignant des gens qui travaillent à l’intérieur des communautés et les excluant des lieux de décisions.
«La consultation est vue comme quelque chose de lourd, parce qu’il faut s’adapter aux nouvelles conditions des marchés. Quand on s’éloigne des gens qui travaillent à l’intérieur des établissements, les valeurs fondamentales comme la liberté d’enseignement, l’autonomie professionnelle, la gestion collégiale, l’accessibilité aux études, sont remises en question, rapporte M. Murdock. La communauté enseignante perd le contrôle des objectifs et du sens de son travail.»
Ce glissement a affecté les relations de travail, entraînant une judiciarisation des conflits de travail, selon M. Murdock: « Auparavant, on s’asseyait pour négocier et régler les conflits, mais aujourd’hui, c’est davantage devant des arbitres que ça se passe. Le processus se fait davantage avec des firmes d’avocats et de relations publiques qu’en relations de travail. Cela n’avantage personne et cela change notre rôle, comme syndicat. On aurait avantage à privilégier une approche axée sur les relations de travail. »
Précarité en enseignement
La précarité croissante en enseignement est un enjeu majeur dans tout le réseau pour la FNEEQ-CSN, qui estime que dans le réseau collégial, plus de 40% des enseignants ont un statut précaire. «Cela prend la forme d’enseignants qui travaillent dans plusieurs établissements pour joindre les deux bouts et qui se retrouvent donc avec des tâches colossales pour des revenus assez modestes. Le secteur de la formation continue est le pire, offrant des conditions de travail de seconde zone, dit M. Murdock. Ces gens-là sont payés à l’heure pour les cours qu’ils donnent, mais on ne prévoit pas, dans la rémunération, l’encadrement des étudiants, la préparation des cours, la correction des travaux et des examens. Plusieurs n’ont pas de bureau sur les lieux de travail. On parle d’un secteur oublié, et de plus en plus important.»
Dans les universités, la moitié des enseignants sont des chargés de cours, et ont des conditions différentes de celles des professeurs. Les coupes budgétaires ont donc évidemment eu un effet très important sur eux. « Par exemple, à l’Université Laval, 15% de l’offre de cours a disparu, donc des emplois en moins pour les chargés de cours. On constate aussi une tentative d’économiser en fractionnant les cours, en créant de nouveaux titres d’emploi moins bien rémunérés», indique M. Murdock.
Selon le secrétaire général et trésorier de la FNEEQCSN, l’éducation doit être financée sur une base stable, pouvant compter sur des investissements récurrents qui permettent de développer des expertises et des savoirs dans tous les domaines d’activités : «C’est ce qui va nous permettre d’être l’une des sociétés les plus développées au monde. »