Une politique bioalimentaire attendue de pied ferme
Àla fin mai, les producteurs agricoles et les pêcheurs rencontreront le gouvernement pour lui faire part de leurs doléances. Déjà, une rencontre a eu lieu avec les consommateurs et une autre avec les transformateurs, distributeurs et restaurateurs. Tout cela aboutira à l’automne à un sommet sur le bioalimentaire et ensuite, à une politique au printemps 2018. Bien qu’il s’agisse de la neuvième consultation sur le bioalimentaire depuis 2008, l’UPA se prêtera au jeu en espérant toutefois que cette fois-ci sera la bonne.
L’urgence d’investir
Pour Marcel Groleau, président de l’UPA, trois principaux enjeux seront discutés lors de cette rencontre et doivent faire partie de la politique. Il s’agit de l’insuffisance des investissements en immobilisation, la pauvreté des fonds alloués à la recherche et la pénurie de la main-d’oeuvre.
À propos des investissements, M. Groleau déplore que le Québec ait pris un tel retard. D’après Statistique Canada, entre 2006 et 2015, les dépenses en immobilisations dans l’agriculture québécoise ont augmenté de 23 %, pour se chiffrer à 609 millions de dollars, alors qu’en Ontario elles ont presque doublé pour atteindre 1,4 milliard de dollars. «Ce faible niveau de dépenses, si on le compare à notre province voisine, pourrait nous faire prendre un important retard sur le plan technologique », s’inquiète M. Groleau.
Dans le dernier budget Leitão, le gouvernement a toutefois prévu investir 95 millions de dollars sur cinq ans dans les fermes québécoises. M. Groleau admet que cela constitue un pas dans la bonne direction, bien qu’il ne sache toujours pas si cet argent sera disponible sous forme de prêts ou de subventions.
Trop peu de recherche
Un autre sujet que l’UPA compte discuter lors de cette rencontre est le retard qu’a pris le Québec en matière de recherche et développement en agroalimentaire. Entre 2008 et 2015, les dépenses en recherche et développement des entreprises agroalimentaires québécoises ont diminué de 199 à 139 millions de dollars pour la transformation alimentaire et de 105 à 73 millions de dollars pour la production agricole. « La situation est encore plus préoccupante lorsqu’on compare le Canada avec les autres pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], dit M. Groleau. Le Canada accuse un retard et le Québec encore plus.»
Une main-d’oeuvre rare
Bien que M. Groleau admette que les travailleurs saisonniers, étrangers ou non, donnent un bon coup de pouce aux agriculteurs québécois, ils ne peuvent être considérés comme une solution permanente au problème de pénurie de main-d’oeuvre en agriculture. «Des projets d’investissement sont retardés pour cause de manque de main-d’oeuvre, dit-il. Pour aider à résoudre ce problème, il faudrait faire davantage de formation et promouvoir les emplois en agriculture.»
Le problème est criant, selon une étude présentée au Sommet canadien sur la main-d’oeuvre agroalimentaire et agricole, qui s’est tenu à Winnipeg, en mars 2016. Il en ressort que les emplois vacants en agriculture atteignent 7%, ce qui constitue le plus haut taux de places non pourvues de toutes les industries au Canada. L’étude mentionne aussi que cette pénurie coûte aux producteurs canadiens 1,5 milliard de dollars. Cette situation serait due en partie au fait que le nombre de fermes est en baisse constante et que la taille de celles-ci s’accroît. Par conséquent, les producteurs agricoles propriétaires de plus grandes installations ont de plus en plus recours à une main-d’oeuvre externe à la famille. Le problème est loin d’être nouveau. Déjà en 2002, une étude réalisée pour le Comité sectoriel de la maind’oeuvre de la production agricole en faisait mention.
Parmi les autres sujets que l’UPA souhaite aborder avec le gouvernement, il y a le développement de l’agriculture dans les régions. «Il faut y soutenir davantage l’agriculture, dit M. Groleau. Beaucoup de terres en friche pourraient être valorisées. Pour cela, il faut cibler certaines productions adaptées au climat plus froid de ces régions, comme l’élevage de veaux d’embouche.»
À ce propos, une étude récente (avril 2017) de l’Institut de recherche en économie contemporaine souligne le potentiel que possèdent l’agriculture et la foresterie pour contrer la décroissance démographique et la dévitalisation que vivent les régions de la Gaspésie et du Bas-Saint-Laurent. Rappelons qu’entre 1997 et 2015, le Bas-Saint-Laurent a perdu 4% de sa population alors que la Gaspésie a connu une chute de 13%. Durant la même période, la population de la province augmentait de 14%.
Après consultations avec les acteurs locaux, les auteurs de l’étude ont recensé quatre filières de produits prometteuses. Il s’agit du sirop d’érable, des nouveaux matériaux (les cultures du chanvre, du lin et de l’asclépiade), les céréales de spécialité et, enfin, les petits fruits et les noix.
Lors de la rencontre de mai, M. Groleau compte aussi mentionner l’importance d’avoir une approche filière viable (filière qui comprend l’agriculture, la transformation de produits agricoles et leur distribution). «Pour cela, il faut que les trois maillons de la filière soient rentables, productifs et en mesure d’investir », dit-il.
Fort potentiel
Malgré ces difficultés, le secteur agricole jouirait d’un fort potentiel de développement. Selon une étude de la firme ÉcoRessources, rendue publique en février 2017 et réalisée pour le compte de l’UPA, le secteur agricole pourrait hausser sa production globale de 30 % pour la période de 2016 à 2025 et créer 21 000 nouveaux emplois. Le potentiel de croissance est toutefois variable selon les secteurs. Ainsi, pour le lait et le porc, on estime la croissance à 20 %, alors que pour l’acériculture, la production en serres et la culture maraîchère, la croissance serait de 100 %.
Pour mieux encadrer et encourager ce potentiel de croissance, la politique sur le bioalimentaire est toutefois une nécessité. Tous les acteurs de ce secteur économique névralgique sont d’accord sur ce point.