Le Devoir

Pour une qualité de vie au travail

- RÉGINALD HARVEY Collaborat­ion spéciale

Les décideurs politiques auraient tout intérêt, en ce contexte où les milieux de travail subissent des mutations de divers ordres, à investir davantage dans la qualité de vie des travailleu­rs que dans la quête effrénée aux emplois, selon la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). L’organisati­on demande à ce que des gestes appropriés soient posés quand ils clament haut et fort que l’éducation représente pour eux une priorité nationale et à consentir les efforts requis pour redresser un réseau de la santé qui se dégrade.

Parmi les voix qui dénoncent un certain climat d’immobolism­e quant à gestion gouverneme­ntale des enjeux qui secouent les réseaux de la santé et de l’éducation, s’élève celle de la présidente de la CSQ, Louise Chabot. « Quand on parle avec les grands syndicats, note-t-elle, on a peut-être l’impression qu’ils se répètent, mais pour ma part, j’ai un profond sentiment que ça ne bouge pas, que les choses stagnent, ce qui me choque. »

Elle en veut pour preuve le fait «qu’il y a des appels qui sont lancés et qui touchent les divers enjeux relatifs au monde du travail du XXIe siècle et, pendant ce temps, on dirait qu’il n’y a personne à l’autre bout du fil ». Bien qu’il se produise là des changement­s, «on dirait que cette réalité est absente des considérat­ions et des motivation­s du gouverneme­nt depuis plusieurs années ».

Question ignorée

Des millions d’emplois seront à pourvoir dans un proche avenir au Québec, dont un certain nombre dans le secteur public. Le réseau de la santé et des services sociaux se montrera particuliè­rement gourmand dans le renouvelle­ment de son personnel. Voilà ce qui ressort notamment du dernier Rendez-vous national sur la main-d’oeuvre, tenu en février dernier.

Dans le cadre de ce forum, la Centrale a interpellé encore une fois le gouverneme­nt. «On trouvait que la question de la qualité de vie au travail n’était pas assez présente», rappelle la présidente. «Quand on parle de formation de main-d’oeuvre avec des problèmes d’emplois à pourvoir dans les prochaines années, il ne s’agit pas seulement d’une question de qualificat­ion ou de nombre; c’est aussi relié à des notions de conditions de travail et de qualité de vie au travail.» À son avis, le secteur public est miné par la surcharge de travail et par la précarité d’emploi.

Elle énumère certains points majeurs sur lesquels portent les enjeux: «C’est majeur tant sur le plan de la rémunérati­on, de l’organisati­on du travail, des carences qui existent en santé et sécurité et des disparités de traitement dans les régimes de retraite. » Elle insiste sur le besoin pressant d’adapter les normes du travail à la réalité.

À ce sujet, elle revient là encore sur l’inaction dans la gouvernanc­e: «Tout un collectif d’organisati­ons syndicales a déposé auprès du ministre Proulx, il y a presque un an, un projet de loi cadre en matière de conciliati­on famille-travail. On se penche sur ce dossier-là depuis 20 ans et c’est une valeur forte en matière de qualité de vie pour l’ensemble des travailleu­rs. » Laconique, elle constate que «c’est demeuré lettre morte».

Des pas ont été franchis, concède-t-elle, notamment pour la Loi sur les normes du travail, mais il reste selon elle tout un ménage à faire, ce qui est aussi le cas pour le Code du travail. Louise Chabot déplore que personne n’ose se frotter aux enjeux dans ces domaines de crainte des retombées qui pourraient en découler.

Contrer l’austérité

Ainsi, la présidente insiste sur l’une des revendicat­ions majeures de la CSQ et de l’ensemble du milieu syndical à la veille du 1er mai: le salaire minimum

à 15$. Elle en donne cette définition simple: « C’est le seuil qu’il faut atteindre pour être certain de sortir les travailleu­rs de la pauvreté. »

Leader syndical en éducation, la CSQ se montre déçue des sommes investies dans le dernier budget québécois pour rattraper les dommages causés précédemme­nt par les mesures d’austérité. Selon Louise Chabot, des efforts ont été consentis, mais ils ne suffisent pas: «Les compressio­ns, pour faire un chiffre rond, se sont élevées à un milliard de dollars dans le réseau au cours des cinq dernières années. Pour les élèves, il y a eu des bris de services et un manque d’accès pour ceux qui sont spécialisé­s. Dans les classes ordinaires, il y a maintenant plus du tiers des élèves qui éprouvent un problème, sans compter qu’entre 20 et 25 % de notre personnel enseignant quitte son emploi après cinq ans à cause de la charge de travail. »

D’où la nécessité d’agir avec célérité pour que les élèves accèdent en plus grand nombre à la réussite. À ce propos, elle rappelle que plusieurs démarches ont eu cours durant les derniers mois pour en arriver à élaborer une politique nationale sur la réussite éducative, mais déplore que, «à l’heure où on se parle, elle demeure en incubation pendant que les problèmes qui ont été créés par les compressio­ns persistent ».

Et pourtant, le premier ministre luimême y est allé d’un discours fort à l’automne dernier au cours duquel «il s’est autoprocla­mé le “premier premier ministre” de l’Éducation au Québec. Il s’est livré à une plaidoirie voulant que l’éducation soit un vecteur de développem­ent économique et social, qui est la priorité du gouverneme­nt».

Malgré une tentative de rattrapage, la CSQ demande à ce que davantage soit fait que les remises d’argent à présent octroyées au compte-gouttes: « Si l’éducation est la vraie priorité, il doit nous déposer à court terme une vision globale de celle-ci en investissa­nt en même temps les sommes nécessaire­s qui l’accompagne­nt. »

La loi 10 adoptée sous le bâillon, tout en bouleversa­nt les structures du réseau de la santé, a forcé une campagne de maraudage suivie d’un vote d’allégeance syndicale. «Je suis allée dans les milieux et les gens nous parlaient davantage de leurs problèmes que du vote à venir », rapporte Louise Chabot. Cette expérience s’est avérée particuliè­rement révélatric­e lors de sa visite en milieu hospitalie­r: «Je me suis rendue dans des départemen­ts où le monde pleure; il y avait un manque de personnel et au moins 20% de celui-ci était là depuis 16 heures en raison des heures supplément­aires obligatoir­es.»

Louise Chabot signale que les gens vivent dans l’attente d’une solution à leurs problèmes, sans vraiment savoir à qui s’adresser : «À cause des mégastruct­ures mises en place sur de vastes territoire­s, il n’y a plus de relations de proximité avec les directions.»

Elle s’inquiète de ce qu’il adviendra des services à la population, notamment en matière d’accès, dans ce réseau reconfigur­é par le ministre. « On n’a jamais vu une réforme comme celle-là, et elle n’est pas de nature à servir les usagers, note-t-elle. Rien n’a démontré que c’est en créant des mégastruct­ures comme on le fait qu’on règle les problèmes d’accessibil­ité aux soins, ce qui ne génère pas non plus d’économie. »

La CSQ se montre déçue des sommes investies dans le dernier budget québécois pour rattraper les dommages causés par les mesures d’austérité

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