Histoire de bouffe
L’Écomusée du fier monde lance l’expo Nourrir le quartier, nourrir la ville
L’accès à des aliments de qualité est loin d’être une question réglée. Éric Giroux, responsable de la recherche et des collections à l’Écomusée du fier monde, en est conscient, lui qui vient de travailler à monter l’exposition Nourrir le quartier, nourrir la ville.
Dresser un portrait historique comme le fera, à compter de la mi-mai, le musée enclavé dans un ancien bain public du quartier Centre-Sud n’équivaut pas à fermer les yeux sur des enjeux contemporains. Pas avec un sujet aussi vital que l’alimentation.
«Pour un quartier populaire comme le Centre-Sud, la question alimentaire est quelque chose de délicat. Ici, il y a des zones qui sont encore considérées comme des déserts alimentaires, donc avec peu de produits de qualité accessibles », dit le commissaire de Nourrir le quartier, nourrir la ville.
Preuve de ce constat: le nombre réduit de supermarchés. Il n’y en a que trois, deux autour des stations de métro Papineau et Frontenac et un autre à l’intérieur de Place Dupuis. «Les résidants plus au nord n’ont que quelques fruiteries, mais les prix sont toujours plus élevés. C’est une question préoccupante », concède Éric Giroux, pour qui il fallait rappeler ce fait dans l’exposition.
La section «Quartier nourricier» abordera ces thèmes en signalant des initiatives toutefois plus heureuses, comme la nouvelle serre communautaire implantée dans un espace sous-exploité appartenant à la Macdonald Tobacco, près de la rue Ontario. Autre belle idée qui a poussé dans le Centre-Sud et qui colorera l’expo, le Fruixi est un service à vélo, un hybride entre le livreur de dépanneur et la cuisine de rue.
Quartier sucré
«On utilise le quartier comme témoin de la grande histoire de Montréal», avance le porte-parole du musée.
Pour aborder l’histoire de l’alimentation, l’Écomusée du fier monde est plutôt bien placé: devant l’ancien bain public se dresse en effet le marché Saint-Jacques. Ce bâtiment art déco de 1931, toujours debout, est emblématique au propos de cette exposition qui parle d’évolution et de transformation. Les récents efforts pour redonner au marché SaintJacques sa fonction d’origine ont échoué et seuls quelques comptoirs alimentaires y font encore des affaires.
S’appuyant sur des archives essentiellement photographiques, mais pas seulement, Nourrir le quartier, nourrir la ville embrassera 200 ans de l’alimentation à Montréal. Le sujet sera traité sous différents angles, notamment celui de l’offre (des marchés publics aux supermarchés, en passant par l’épicier du coin), de l’autoproduction (fermes urbaines, serres communautaires) et de la transformation de produits.
Il faut dire que sur ce dernier aspect, le Centre-Sud a abrité un bon nombre de cas. «On pense à Molson, parce qu’elle est la plus ancienne et la plus grande usine qui existe encore», commente Éric Giroux. Mais il y aura eu aussi des entreprises de pasteurisation de lait, des boulangeries industrielles, et tout un ensemble de firmes à faire saliver ceux qui ont la dent sucrée.
N’identifie-t-on pas une partie du quartier comme le Faubourg à m’lasse? Aujourd’hui phare de la diffusion des arts de la scène, l’Usine C, elle, a autrefois été le théâtre de production des confitures et marinades Raymond, sujet déjà d’une exposition à l’Écomusée. Pendant 50 ans, Laura Secord aura aussi fabriqué dans le quartier ses chocolats, et les Viau, David & frère, Lido, AEtna… leurs biscuits.
Condition ouvrière
Si Nourrir le quartier, nourrir la ville traite en bonne partie de l’histoire alimentaire par le biais des grands noms de l’industrie, elle le fait aussi à travers la profession d’épicier, la réalité des ouvriers et le point de vue du consommateur. Le fonds Conrad Poirier, aujourd’hui conservé à Bibliothèques et Archives nationales du Québec (BAnQ), sera un précieux fournisseur d’images. Pionnier du photojournalisme québécois, Conrad Poirier (1912-1968) «s’est appliqué à dépeindre le quotidien en privilégiant la représentation “non composée” de ses contemporains ». «En ce sens, lit-on dans les documents de BAnQ, ce fonds témoigne d’une portée sociale rare pour [son] époque. »
«L’histoire du travail et de l’industrie est quelque chose qui nous intéresse, affirme Éric Giroux. Dans cette expo, on a voulu mettre des visages d’ouvriers, mais aussi [ceux] des petits commerçants, propriétaires d’épicerie.» C’est un milieu dur, d’une part à cause des longues journées de travail, d’autre part parce que ces commerces ont la vie courte. «Leur durée moyenne est de dix ans. Il y a une grande précarité et cette précarité existe toujours », fait d’ailleurs noter l’historien-muséologue.
Pour la réalisation de l’expo Nourrir le quartier, nourrir la ville, et de la publication qui l’accompagnera, l’Écomusée du fier monde s’est appuyé sur les recherches du Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal. Cette collaboration avait déjà donné lieu aux expos Run de lait (2012-2016) et Confitures et marinades Raymond (2015).
Pour aborder l’histoire de l’alimentation, l’Écomusée du fier monde est plutôt bien placé : devant l’ancien bain public se dresse en effet le marché Saint-Jacques