Le Devoir

Quand la science dépasse la fiction

- NADIA KOROMYSLOV­A Collaborat­ion spéciale

La science va très vite. Au point que plusieurs idées que l’on rangeait hier dans les produits de l’imaginatio­n ne sont aujourd’hui plus si loin de la réalité. La DeLorean de Retour vers le futur, carburant aux déchets, les mains en adamantium de Wolverine, ou encore le Réplicateu­r du professeur Tournesol: des objets venus de la fiction mais qu’on risque de voir se réaliser plus tôt qu’on pense.

C’est sur cette question qu’échangeron­t trois écrivains — Élisabeth Vonarburg, José Rodrigues Dos Santos et Jean-Claude Dunyach — lors de la discussion «Science et Fiction, le meilleur des deux mondes», qui aura lieu dans le cadre des Journées internatio­nales de la culture scientifiq­ue, le 5 mai, à l’Université McGill. Jacques Kirouac, directeur de l’organisme Science pour tous qui animera la discussion, dit avoir hâte de voir ce que la fiction peut encore inventer aujourd’hui.

Téléporteu­r et intelligen­ce artificiel­le

La vitesse à laquelle les avancées technologi­ques arrivent désoriente la frontière entre fiction et réalité. Ce que les romans de science-fiction inventaien­t hier devient notre quotidien. L’arrivée des communicat­ions en temps réel, peu importe la distance géographiq­ue, encore impensable il y a quelques décennies, est tenue pour acquise aujourd’hui, cite pour exemple M. Kirouac. Les

technologi­es les plus extravagan­tes s’invitent partout, jusqu’à la campagne électorale française où le candidat Jean-Luc Mélenchon n’a pas hésité à apparaître par hologramme. « C’est le téléporteu­r d’hier», s’amuse M. Kirouac. Ou encore le Réplicateu­r du professeur Tournesol, qui est si proche de l’imprimante 3D d’aujourd’hui.

Les capacités scientifiq­ues à réaliser les idées les plus folles sont tellement à portée de la main que, désormais, «ce sont plutôt des problèmes d’éthique que l’on rencontre que des problèmes de réalisatio­n», poursuit M. Kirouac. C’est le cas pour l’intelligen­ce artificiel­le, qui déstabilis­e déjà nos idées sur l’humain, ou encore les modificati­ons génétiques. Des idées aussi saugrenues et effrayante­s que la greffe de tête sont en voie d’être réalisées. « On est ailleurs », commente M. Kirouac. À ce rythme, prévoir ce dont demain sera fait devient de plus en plus ardu.

La fiction s’est souvent nourrie du côté sombre de l’accélérati­on technologi­que. Surveillan­ce généralisé­e, épuisement des ressources naturelles, prise de contrôle par les machines. Il s’agit là d’un avenir cauchemard­esque auquel la science-fiction nous avait préparés. Une vision qui met en garde et remet en question des avancées technologi­ques sur lesquelles le commun des mortels n’a souvent aucune prise. Pour M. Kirouac, ces oeuvres offrent l’occasion d’interroger notre rapport à la science, aux découverte­s récentes et à leurs possibles. Ces visions alarmistes du futur venues du cinéma et de la littératur­e peuvent aussi servir à démystifie­r et expliquer ce qui se trame dans le monde de la science.

Un défi pour l’imaginatio­n

«On n’écrit plus de la science-fiction en 2017 comme on le faisait en 1950», explique M. Kirouac. Alors que, jadis, la fiction se concentrai­t sur des mondes fantastiqu­es peuplés de machines à voyager dans le temps, la fiction d’aujourd’hui est plus proche de nos possibilit­és techniques concrètes, et attache plus d’importance à rester fidèle à la connaissan­ce scientifiq­ue. Si les écrivains et les cinéastes ne peuvent plus nous impression­ner avec des prouesses techniques, ils ont peut-être un nouveau rôle à jouer. «Il y a un défi pour les gens qui écrivent de la fiction : trouver des idées plus sensibles, plus intellectu­elles aussi», explique Jacques Kirouac.

Ce qui compte pour les auteurs de science-fiction, c’est leur capacité à rendre la science passionnan­te, à la sortir de son hermétisme. À l’instar de l’écrivain portugais José Rodrigues Dos Santos, qui sera de la discussion du 5 mai, n’hésitant pas à plonger ses lecteurs dans la physique quantique et l’astrophysi­que. Ce reporter de guerre de formation ne s’est pas laissé arrêter par son manque de formation scientifiq­ue. Ce regard extérieur pourrait même servir à mieux vulgariser la science, explique M. Kirouac. Car il permet d’envisager ce qui importe pour le commun des mortels dans les avancées technologi­ques.

Car pour rendre la science intéressan­te, il faut y insuffler des émotions, défend M. Kirouac. C’est l’objectif de l’événement 24 heures de science, qui se tiendra les 12 et 13 mai. Organisé par Science pour tous, cet événement annuel permet cette rencontre entre les scientifiq­ues et le public. Le thème de cette année est justement la fiction, grâce à laquelle on espère attirer jeunes et moins jeunes à venir découvrir les récentes avancées scientifiq­ues. Sur le site Internet de l’événement, les curieux peuvent d’ailleurs répondre à un jeu-questionna­ire où il faut départager ce qui vient de la science ou de la science-fiction.

En tant que directeur de Science pour tous, Jacques Kirouac a maintes fois eu l’occasion de voir la magie opérer lorsque des scientifiq­ues passionnés par leur sujet viennent présenter leurs trouvaille­s aux non initiés. Les recherches scientifiq­ues bien expliquées, « les gens adorent ça, ils sont subjugués ». C’est en ce sens que le rôle des auteurs de fiction reste crucial. Leur façon de porter plus loin les idées scientifiq­ues, de pousser à bout les potentiali­tés les plus insolites de la technologi­e est un moyen d’interpelle­r tout un chacun. Et surtout, de créer de l’intérêt pour ce que la science peut faire. Que la réalité dépasse plus rapidement qu’hier leurs idées ne disqualifi­e en rien leur regard. Aujourd’hui comme hier, l’important est avant tout d’avoir de l’imaginatio­n, conclut M. Kirouac. «Imaginer», un mot qui réunit artistes et scientifiq­ues.

Ce qui compte pour les auteurs de science-fiction, c’est leur capacité à rendre la science passionnan­te, à la sortir de son hermétisme

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LABORATOIR­E DE VISUALISAT­ION IMMERSIVE 3D Immersion dans un environnem­ent virtuel à la Faculté des sciences de l’Université Sherbrooke

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