Bois d’oeuvre : une autre crise qui s’annonce longue
La décision de Washington d’imposer des droits compensateurs de 20% en moyenne sur les exportations canadiennes de volumes de bois inquiète les acteurs concernés.
«C’est déloyal de la part des Américains», s’insurge en entrevue au Devoir Denis Bérubé, président de Cédrico, une importante compagnie de transformation de bois basée dans le Bas-Saint-Laurent, qui emploie plus de 250 personnes et dont 65% des produits sont destinés au marché américain. «Nous, on va payer 20% de droits pour l’instant, mais une autre taxe s’ajoutera sur le dumping en juin prochain. C’est sûr qu’on aura besoin de l’aide des gouvernements pour pouvoir passer à travers ça. Mais écoutez, nous, chez Cédrico, on ne change pas notre plan de match, on va ajuster nos coûts, notre gestion», fait-il valoir.
Les droits annoncés plus tôt cette semaine par le département américain du Commerce vont varier, selon les cas, de 3,02% à 24,12%. Plus précisément, Produits forestiers Résolu devra payer des droits compensateurs de 12,82 %, comparativement à 20,26 % pour Canfor, 24,12 % pour West Fraser et 3,02 % pour J. D. Irving. Des droits de 19,88 % s’appliquent au reste de l’industrie. Le président de la Coalition américaine du bois d’oeuvre (U.S Lumber Coalition), Cameron Krauss, a salué cette annonce du département du Commerce, précisant que cette décision «vient confirmer que les usines canadiennes du bois sont subventionnées par leur gouvernement, ce qui nuit aux travailleurs et manufacturiers des États-Unis». À noter que ces taux ne sont que temporaires, une décision sur les taux officiels sera précisée en septembre prochain par Washington. Les exportations canadiennes vers les États-Unis se chiffraient à 5,66 milliards de dollars américains en 2016.
Cette crise qui s’annonce longue est la cinquième du genre depuis les années 1980. Les quatre précédentes ont eu lieu en 1981, en 1986, en 1996 et en 2001.
L’UMQ dénonce la décision des États-Unis
L’Union des municipalités du Québec dénonce vigoureusement cette décision et presse Ottawa de donner suite urgemment à la demande des partenaires forestiers du Québec d’accorder des garanties de prêts aux entreprises qui en subiront les contrecoups, rappelle le président du Comité sur la forêt de l’UMQ et maire de RouynNoranda, Mario Provencher. «On reçoit cette nouvelle négativement parce qu’on sait qu’à cause de ces droits compensateurs, des usines seront malheureusement mises en péril. Elles ne seront pas capables de faire face à ce problème, dit-il. Nous craignons évidemment aussi des pertes d’emplois dans notre industrie. Il est certain qu’au cours des prochaines semaines, notre comité se réunira afin de mettre sur pied une stratégie. En attendant, nous allons essayer de conscientiser l’industrie de la construction aux États-Unis, par exemple.» Et d’ajouter ceci: «Les Américains nous reprochent encore une fois la même chose que lors de toutes les dernières crises. Il est faux de croire que notre industrie est subventionnée.»
Le président-directeur général du Conseil de l’industrie forestière du Québec, André Tremblay, est tout aussi inquiet. « Vous comprendrez qu’avec des droits compensateurs, aucun producteur canadien ou québécois ne sera en mesure d’assumer de tels montants sur une période plus ou moins longue. Il faudra passer par le processus judiciaire, indique-t-il. Nous en avons vécu quatre [crises] depuis 1980, et le Canada a toujours démontré qu’il n’y avait pas de subventions. D’ailleurs, au Québec, depuis 2013, avec le nouveau régime forestier, c’est 25% du bois qui est mis aux enchères sur les terres publiques. On montre ainsi qu’on fonctionne sur une base de libre concurrence. Il est donc faux de prétendre que notre industrie est subventionnée. »
D’autres inquiétudes
Le directeur général de l’Association des entrepreneurs en travaux sylvicoles du Québec, Fabien Simard, s’inquiète de l’ampleur des répercussions. « Est-ce que le fédéral accordera des garanties ou non? Nous sommes des entreprises qui travaillent en forêt, nous faisons du reboisement, du débroussaillage, de la préparation de terrain. Parmi nos membres, ce sont ceux qui récoltent du bois qui vont ressentir le plus d’impacts, soutient-il. Si les gouvernements ne s’impliquent pas ou ne se manifestent pas adéquatement, on va dire aux entreprises: “Eh bien, parque tes machines qui valent 600 000$, un million et deux millions de dollars. Et quand la tempête va passer, on va t’appeler.” Cette crise va durer combien de temps? Un, deux, trois ans? Il est certain que des entreprises vont malheureusement culbuter. »
Les Américains n’ont-ils pas encore compris que le Canada a toujours gagné devant les tribunaux de toute façon? «Oui, mais chaque fois, ils nous ont affaiblis!» fait valoir M. Simard. « C’est sûr qu’il y a une stratégie derrière ça. L’industrie américaine n’est pas florissante. Je la connais, j’y ai travaillé pendant six ans. Elle a beaucoup plus de difficulté que la nôtre à se développer, dit-il. Nos membres font parties de la chaîne de cette industrie. Si on ne coupe plus de bois pendant deux ou trois ans, que fait-on avec les arbres qui sont dans les pépinières? C’est une chaîne tricotée serré. Quand il y en a un qui éternue, tout le monde attrape le rhume. L’ensemble de notre industrie va ressentir cette crise à des niveaux différents.»
Réponse d’Ottawa
En conférence de presse mardi, la ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, a déclaré que son gouvernement est en désaccord avec la décision de Washington: « Cette démarche est sans fondement et nous allons lutter contre cette décision devant les instances appropriées.» Sur la question de savoir si son gouvernement va offrir des garanties de prêts, elle a rappelé qu’il existe de tels outils à la Banque de développement du Canada et que son gouvernement travaillera de concert avec les provinces pour trouver des solutions tant pour l’industrie que pour ses travailleurs. Une heure à peine après cette déclaration, Québec diffusait un communiqué par lequel il confirmait son appui à l’industrie. « Pour appuyer l’industrie forestière, Québec rend donc accessible immédiatement le programme ESSOR afin de soutenir près de 200 entreprises québécoises touchées. Cet appui financier, sous forme de prêts et de garanties de prêts sur une base commerciale, donnera un peu d’oxygène aux forestières qui pourraient manquer de liquidités au cours des prochains mois afin qu’elles puissent continuer à approvisionner le marché américain », peut-on lire.