Premier bilan de Donald Trump
Portrait de Donald Trump en cheval à bascule pour son bilan des cent premiers jours
Le président Donald Trump passe aujourd’hui son centième jour en poste. Fidèle à son habitude de donner des signaux contradictoires, il a tour à tour dénoncé l’aspect «ridicule» de ce moment traditionnellement fort tout en s’autocongratulant pour «cent jours d’accomplissements historiques». Peut-on démêler les faits de l’histoire «alternative»?
Le nouveau président étasunien est très méchamment caricaturé par les émissions satiriques de fin de soirée. Pour les humoristes aux commandes, si Donald Trump était un jouet, ce serait un poussah ou un « punching clown ».
L’animateur vitriolique Bill Maher a promis de verser 5 millions de dollars à des oeuvres charitables si le politicien milliardaire, réputé pour ses excentricités capillaires, pouvait prouver qu’il ne descend pas directement d’un orangoutan. La vilaine remarque lui a valu une poursuite finalement abandonnée.
Le très sérieux journaliste Fareed Zakaria de la chaîne CNN a proposé une autre métaphore, moins blessante et plus parlante à l’approche du centième jour de pouvoir du nouveau président. Il a comparé Donald Trump à un cheval à bascule, un jouet qui s’agite mais qui n’avance pas.
«Pendant ses 100 premiers jours, on a vu un cheval en apprentissage », dit au Devoir Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand et directeur de l’Observatoire sur les États-Unis de l’UQAM, en citant lui-même les propos de l’animateur de l’émission Fareed Zakaria GPS. «C’est le premier président de l’histoire sans expérience du pouvoir politique ou militaire. Il pensait réformer l’assurance maladie en trois semaines. Le projet a échoué. Il constate que la situation en Syrie et en Corée du Nord est compliquée. En février, il disait que la relation avec le Canada était cordiale et que l’accord de libre-échange ne nécessitait que des ajustements. Finalement, il dit que le lait, le bois d’oeuvre sont de grands problèmes. Pourquoi? Parce que Donald Trump apprend. Il ne lit pas beaucoup, mais il lit probablement des mémos et il apprend la complexité des choses.»
Un dur apprentissage, de la bouche du cheval lui-même, comme on dit en franglais. «C’est plus de travail que dans ma vie précédente, a avoué jeudi le président en entrevuebilan à l’approche de la première date butoir. Je pensais que ce serait plus facile. »
Dans les faits, plusieurs politiques promises n’ont donc pas été réalisées et semblent même loin de l’être (voir l’encadré). Par contre le président a réussi à retirer les États-Unis du Partenariat Transpacifique et à nommer un nouveau juge à la Cour suprême, objectif raté de Barack Obama.
FDR aux commandes
Le symbole des 100 jours vient du début du premier mandat de la présidence du démocrate Franklin Delano Roosevelt (FDR), en 1933. Les États-Unis et le monde étaient en crise et le gouverneur de New York s’était fait élire en s’adressant aux pauvres et aux travailleurs paupérisés. Il leur promettait un New Deal, la fin de la prohibition, la réforme des marchés financiers, la création de nouveaux programmes sociaux et une stimulation de l’économie par des investissements publics.
FDR arriva à la MaisonBlanche le 4 mars et prononça un fameux discours radiodiffusé : «The only thing we have to fear is fear itself», avait-il dit pour stimuler l’optimisme. Son programme à l’influence keynésienne fut mis en branle entre le 8 mars et le 16 juin, pendant la première session du Congrès sous sa gouverne. Dans les faits, ses 100 jours en durèrent 104.
Le président fit assermenter tous les membres de son cabinet d’un seul coup, signa 76 lois, dont une quinzaine jugée majeure pour la réalisation de la «nouvelle entente». Depuis, c’est donc à l’aulne de cette période de suractivité que se mesurent les réalisations de ses successeurs, même si cette courte période ne totalise que 3% du temps dont peut bénéficier un président élu pour deux mandats.
«Roosevelt avait promis d’être un activiste, au contraire du président sortant Herbert Hoover, qui répétait que ce n’était pas le rôle du gouvernement d’intervenir dans l’économie, explique François Furstenberg, spécialiste de l’histoire de la présidence américaine, professeur à l’UdeM. Ces 100 premiers jours, qui sont plutôt ceux du Congrès, ont
permis d’accomplir énormément de choses, pas tout le New Deal, mais un bon départ. Depuis cette période, les 100 premiers jours sont considérés comme une sorte de mini-mandat. Après cette première période, il est temps de prendre une pause pour faire le point, pour évaluer comment a commencé le mandat du nouveau président. »
En campagne perpétuelle
Dans les faits, le pouvoir présidentiel semble au maximum de sa capacité d’intervention pendant ce centenaire. «Il est en lune miel, il a un mandat sur lequel il a été élu, et comme la république retombe vite en campagne électorale, il peut profiter de cette courte période pour faire adopter des éléments clés de son programme», note le professeur Furstenberg.
Le professeur Frédérick Gagnon appuie aussi sur cette idée que le temps presse en parlant précisément de la situation du nouveau chef. Tous les sièges des représentants au Congrès et le tiers des postes de sénateurs sont à pourvoir en 2018. Pour l’instant, les républicains tiennent le tiercé (les deux chambres et la présidence). «Les campagnes sont longues aux États-Unis, fait valoir le directeur de l’Observatoire. Dès janvier prochain, les républicains du Congrès seront
en “mode électoral” et on pourrait dire qu’ils le sont déjà. En période électorale, il devient peut-être plus difficile pour le président de convaincre le Congrès d’aller de l’avant avec de grandes réformes qui pourraient paraître controversées aux yeux des électeurs et des électrices. »
En même temps, son collègue de l’UdeM souligne que l’intérêt pour ce court temps symbolique et politique s’est amplifié avec notre ère hypermédiatique. «Ça reste une période arbitraire, inventée en partie par les médias, dit-il. Avec l’info continue toujours à la recherche de matériel, les 100 jours deviennent un événement en soi, couvert en long et en large.»
La règle a été respectée tout au long de la semaine puisque la première centaine du nouveau président républicain est célébrée ce samedi. Donald Trump lui-même a soufflé le chaud et le froid sur le gâteau, jugeant l’échéance insignifiante, puis s’attribuant à luimême un A pour le devoir accompli.
«Je crois que Donald Trump a surtout réussi à monopoliser la conversation, dit finalement le professeur Frédérick Gagnon. C’est un novice en politique, mais c’est un maître dans l’art de la communication. Il est très habile pour orienter les discussions nationales dans les directions souhaitées. Il est très bon pour détourner l’attention des problèmes dont il ne veut pas qu’on parle, par exemple la fameuse enquête du FBI sur les liens entre des membres de son gouvernement, peutêtre aussi lui-même, et des officiels russes. On sait qu’il y a là une possibilité de motif à destitution. »