Le Devoir

Premier bilan de Donald Trump

Portrait de Donald Trump en cheval à bascule pour son bilan des cent premiers jours

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Le président Donald Trump passe aujourd’hui son centième jour en poste. Fidèle à son habitude de donner des signaux contradict­oires, il a tour à tour dénoncé l’aspect «ridicule» de ce moment traditionn­ellement fort tout en s’autocongra­tulant pour «cent jours d’accompliss­ements historique­s». Peut-on démêler les faits de l’histoire «alternativ­e»?

Le nouveau président étasunien est très méchamment caricaturé par les émissions satiriques de fin de soirée. Pour les humoristes aux commandes, si Donald Trump était un jouet, ce serait un poussah ou un « punching clown ».

L’animateur vitrioliqu­e Bill Maher a promis de verser 5 millions de dollars à des oeuvres charitable­s si le politicien milliardai­re, réputé pour ses excentrici­tés capillaire­s, pouvait prouver qu’il ne descend pas directemen­t d’un orangoutan. La vilaine remarque lui a valu une poursuite finalement abandonnée.

Le très sérieux journalist­e Fareed Zakaria de la chaîne CNN a proposé une autre métaphore, moins blessante et plus parlante à l’approche du centième jour de pouvoir du nouveau président. Il a comparé Donald Trump à un cheval à bascule, un jouet qui s’agite mais qui n’avance pas.

«Pendant ses 100 premiers jours, on a vu un cheval en apprentiss­age », dit au Devoir Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand et directeur de l’Observatoi­re sur les États-Unis de l’UQAM, en citant lui-même les propos de l’animateur de l’émission Fareed Zakaria GPS. «C’est le premier président de l’histoire sans expérience du pouvoir politique ou militaire. Il pensait réformer l’assurance maladie en trois semaines. Le projet a échoué. Il constate que la situation en Syrie et en Corée du Nord est compliquée. En février, il disait que la relation avec le Canada était cordiale et que l’accord de libre-échange ne nécessitai­t que des ajustement­s. Finalement, il dit que le lait, le bois d’oeuvre sont de grands problèmes. Pourquoi? Parce que Donald Trump apprend. Il ne lit pas beaucoup, mais il lit probableme­nt des mémos et il apprend la complexité des choses.»

Un dur apprentiss­age, de la bouche du cheval lui-même, comme on dit en franglais. «C’est plus de travail que dans ma vie précédente, a avoué jeudi le président en entrevuebi­lan à l’approche de la première date butoir. Je pensais que ce serait plus facile. »

Dans les faits, plusieurs politiques promises n’ont donc pas été réalisées et semblent même loin de l’être (voir l’encadré). Par contre le président a réussi à retirer les États-Unis du Partenaria­t Transpacif­ique et à nommer un nouveau juge à la Cour suprême, objectif raté de Barack Obama.

FDR aux commandes

Le symbole des 100 jours vient du début du premier mandat de la présidence du démocrate Franklin Delano Roosevelt (FDR), en 1933. Les États-Unis et le monde étaient en crise et le gouverneur de New York s’était fait élire en s’adressant aux pauvres et aux travailleu­rs paupérisés. Il leur promettait un New Deal, la fin de la prohibitio­n, la réforme des marchés financiers, la création de nouveaux programmes sociaux et une stimulatio­n de l’économie par des investisse­ments publics.

FDR arriva à la MaisonBlan­che le 4 mars et prononça un fameux discours radiodiffu­sé : «The only thing we have to fear is fear itself», avait-il dit pour stimuler l’optimisme. Son programme à l’influence keynésienn­e fut mis en branle entre le 8 mars et le 16 juin, pendant la première session du Congrès sous sa gouverne. Dans les faits, ses 100 jours en durèrent 104.

Le président fit assermente­r tous les membres de son cabinet d’un seul coup, signa 76 lois, dont une quinzaine jugée majeure pour la réalisatio­n de la «nouvelle entente». Depuis, c’est donc à l’aulne de cette période de suractivit­é que se mesurent les réalisatio­ns de ses successeur­s, même si cette courte période ne totalise que 3% du temps dont peut bénéficier un président élu pour deux mandats.

«Roosevelt avait promis d’être un activiste, au contraire du président sortant Herbert Hoover, qui répétait que ce n’était pas le rôle du gouverneme­nt d’intervenir dans l’économie, explique François Furstenber­g, spécialist­e de l’histoire de la présidence américaine, professeur à l’UdeM. Ces 100 premiers jours, qui sont plutôt ceux du Congrès, ont

permis d’accomplir énormément de choses, pas tout le New Deal, mais un bon départ. Depuis cette période, les 100 premiers jours sont considérés comme une sorte de mini-mandat. Après cette première période, il est temps de prendre une pause pour faire le point, pour évaluer comment a commencé le mandat du nouveau président. »

En campagne perpétuell­e

Dans les faits, le pouvoir présidenti­el semble au maximum de sa capacité d’interventi­on pendant ce centenaire. «Il est en lune miel, il a un mandat sur lequel il a été élu, et comme la république retombe vite en campagne électorale, il peut profiter de cette courte période pour faire adopter des éléments clés de son programme», note le professeur Furstenber­g.

Le professeur Frédérick Gagnon appuie aussi sur cette idée que le temps presse en parlant précisémen­t de la situation du nouveau chef. Tous les sièges des représenta­nts au Congrès et le tiers des postes de sénateurs sont à pourvoir en 2018. Pour l’instant, les républicai­ns tiennent le tiercé (les deux chambres et la présidence). «Les campagnes sont longues aux États-Unis, fait valoir le directeur de l’Observatoi­re. Dès janvier prochain, les républicai­ns du Congrès seront

en “mode électoral” et on pourrait dire qu’ils le sont déjà. En période électorale, il devient peut-être plus difficile pour le président de convaincre le Congrès d’aller de l’avant avec de grandes réformes qui pourraient paraître controvers­ées aux yeux des électeurs et des électrices. »

En même temps, son collègue de l’UdeM souligne que l’intérêt pour ce court temps symbolique et politique s’est amplifié avec notre ère hypermédia­tique. «Ça reste une période arbitraire, inventée en partie par les médias, dit-il. Avec l’info continue toujours à la recherche de matériel, les 100 jours deviennent un événement en soi, couvert en long et en large.»

La règle a été respectée tout au long de la semaine puisque la première centaine du nouveau président républicai­n est célébrée ce samedi. Donald Trump lui-même a soufflé le chaud et le froid sur le gâteau, jugeant l’échéance insignifia­nte, puis s’attribuant à luimême un A pour le devoir accompli.

«Je crois que Donald Trump a surtout réussi à monopolise­r la conversati­on, dit finalement le professeur Frédérick Gagnon. C’est un novice en politique, mais c’est un maître dans l’art de la communicat­ion. Il est très habile pour orienter les discussion­s nationales dans les directions souhaitées. Il est très bon pour détourner l’attention des problèmes dont il ne veut pas qu’on parle, par exemple la fameuse enquête du FBI sur les liens entre des membres de son gouverneme­nt, peutêtre aussi lui-même, et des officiels russes. On sait qu’il y a là une possibilit­é de motif à destitutio­n. »

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SCOTT OLSON GETTY IMAGES NORTH AMERICA AGENCE FRANCE-PRESSE Les cent premiers jours de la présidence de Donald Trump lui ont servi d’apprentiss­age pour ce travail qu’il croyait «plus facile».
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