Le Devoir

LE GRAND DÉMÉNAGEME­NT

Le pont Champlain pose un nouveau défi: avant de défaire la structure, il faudra «déménager» un couple de faucons pèlerins qui y a élu domicile en 2012. Un nichoir sera installé sur le nouveau pont et il ne restera plus qu’à espérer que les tourtereau­x s’

- LISA-MARIE GERVAIS

La constructi­on du nouveau pont Champlain et le démantèlem­ent de l’ancien sont une opération logistique d’une complexité inouïe. C’est sans compter qu’il faudra procéder à un important déménageme­nt: celui d’un couple de faucons pèlerins qui y niche depuis quelques années. Le chantier du nouveau pont Champlain va forcer le déménageme­nt de plusieurs tonnes d’acier, de chargement­s de béton et… de deux faucons pèlerins.

Chaque fois que vous empruntez le pont Champlain, vous êtes observés de près par un prédateur qui a plusieurs meurtres à son actif. Une redoutable machine à tuer qui peut repérer sa proie à plus de six kilomètres et foncer sur elle à 300 km/h.

Vous n’avez pourtant rien à craindre du couple de faucons pèlerins qui niche dans la structure de béton depuis quelques années. Classé espèce vulnérable, c’est plutôt lui qui doit être protégé, et qui devra être déménagé avec tous les égards sur le nouveau pont lorsque sera démantelé l’ancien.

Chaque printemps depuis 2012, un couple de faucons pèlerins, fort probableme­nt le même, installe ses pénates dans une petite boîte munie de perchoirs et de gravillons pour retenir les oeufs fixée au béton du pont Champlain par le service environnem­ental de Ponts Jacques Cartier et Champlain Inc. (PJCCI) C’est sa «résidence d’été», où il se pose après un vol long-courrier en partance de l’Amérique du Sud ou des États-Unis.

Roi des hauteurs, le faucon pèlerin aime à nicher sur les constructi­ons en haute altitude, comme les ponts et les tours de bureaux. À Montréal, où une dizaine de couples se disputent le territoire, des nids — plutôt des oeufs, car le faucon ne construit pas de nid, mais s’assure que les oeufs ne roulent pas en bas — ont été observés notamment sur la cheminée de l’incinérate­ur des Carrières, la tour de l’Université de Montréal, le pont Honoré-Mercier et l’échangeur Turcot.

Depuis quelques années, les spécialist­es remarquent que cet oiseau rapace s’adapte plutôt bien à la ville, où les corniches des falaises naturelles ont fait place à celles des gratte-ciel.

Même qu’en raison de l’abondance de pigeons et autres proies en milieu urbain, il migrerait de moins en moins. Sauvés du danger d’extinction, les faucons n’en sont pas moins protégés. Ils font partie des 90% des espèces encadrées par la

Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs qui interdit de perturber la nidificati­on ou de détruire un nid.

Un déménageme­nt forcé

Le moment du démantèlem­ent du vieux pont n’est pas encore déterminé. Mais étant un succès, les «condos» à la dispositio­n de ces oiseaux rapaces, une gracieuset­é d’Infrastruc­ture Canada, devront être installés sur le nouveau pont une fois sa constructi­on achevée.

Le coût de ce déménageme­nt inusité? Le consortium Signature sur le Saint-Laurent Constructi­on, qui bâtit le nouveau pont, n’a pas été en mesure de fournir l’informatio­n au Devoir, mais il confirme que «le nombre de nouvelles boîtes de nidificati­on […] sera au minimum égal au nombre de nids de faucons pèlerins existants sur le pont Champlain ».

«Ce n’est pas une garantie que les faucons vont y retourner, mais ils ont l’habitude d’y nicher et ils sont assez instinctif­s », souligne Mme Skelling, dont l’entreprise est chargée du suivi de l’espèce pour le compte de PJCCI.

Pour Martin Chiasson, directeur de l’environnem­ent à PJCCI, il y a un avantage à tenter d’influencer l’endroit où le faucon va nicher, à la fois pour assurer sa protection et pour que les travaux planifiés ne soient pas empêchés par la présence de l’oiseau.

«On essaie, mais on n’a pas le contrôle. Une année, le faucon avait décidé d’aller s’installer dans la structure, hors de la boîte. Ça peut poser problème s’il vient nidifier à un endroit où il y a des travaux prévus. Il faut faire une interventi­on d’urgence et, s’il y a des oisillons, c’est compliqué.

La boîte, sa conception avec perchoirs, son orientatio­n à l’abri des vents dominants, tout est pensé pour que l’oiseau s’y installe. «On met toutes les chances de notre côté pour que tout le monde soit content. »

Oiseau territoria­l

Reconnu comme étant un oiseau de proie très territoria­l, le faucon mâle reprend ses droits sur son domaine de quelque 3 à 5km de rayon lorsqu’il revient de la migration au printemps. Il est plutôt fidèle à ses habitudes — et retrouve la même femelle même s’ils ont été séparés pendant leurs vacances dans le sud —, mais il arrive qu’il change de territoire parce qu’un fauconneau plus fringant lui tient tête.

Installés depuis 2002, les nichoirs du pont Champlain ont déjà été déplacés en raison de travaux, mais les faucons ont toujours su les retrouver le printemps venu. «On essaie toujours de placer les boîtes dans une zone où le nid ne subira pas de travaux», explique Mme Skelling.

En milieu naturel, le ministère de la Faune recommande une zone libre de perturbati­ons dans un rayon de 250 mètres autour du nid et d’une zone tampon supplément­aire de 100 mètres. « En milieu urbain, c’est impossible, dit la biologiste. Il faudrait interdire toute circulatio­n sur le pont. »

Et s’ils ne revenaient pas sur le pont le printemps venu? «C’est possible. Ils pourraient par exemple décider d’aller sur une des hautes tours de l’île des Soeurs, ou ailleurs en hauteur, poursuit-elle. Mais le pont Champlain va continuer de faire partie de leur territoire.»

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR
 ?? GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR ?? Marilou Skelling, directrice des opérations à Services environnem­entaux Faucon, tient un faucon pèlerin baptisé Jackie. Depuis 2012, un couple de la même espèce installe ses pénates chaque printemps dans une petite boîte fixée au béton du pont Champlain.
GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Marilou Skelling, directrice des opérations à Services environnem­entaux Faucon, tient un faucon pèlerin baptisé Jackie. Depuis 2012, un couple de la même espèce installe ses pénates chaque printemps dans une petite boîte fixée au béton du pont Champlain.

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