S’intégrer pour mieux s’épanouir
L’une est Chilienne, l’autre est Mexicaine, lui est Colombien. C’est au Sabor Latina, dans une ambiance de salsa-tacos, que nous avons donné rendez-vous à trois représentants des communautés latino-américaines de Montréal. Trois personnes qui vivent cependant relativement peu au sein de leurs communautés. Car, selon eux, le risque serait trop grand de ne pas quitter leur pays dans leur tête. F rederico Uribe est étudiant en Colombie, son pays d’origine, lorsqu’il a son premier contact avec le Québec. Pour lui, le Canada est alors un peu loin, et froid, un pays pacifique, calme, développé, ou l’on parle anglais. Et puis, il y a cette rencontre déterminante avec un professeur québécois participant à un programme d’échange avec l’Université de Carthagène. Quelques mois plus tard, il arrive à Montréal, et ne quittera la ville que l’espace d’un an et demi, le temps d’obtenir sa résidence permanente. Depuis l’an dernier, il est citoyen.
indique-t-il d’emblée. «Ma vie est ici, Ça ne veut pas dire que je ne retournerai pas un jour en Colombie, parce que je me sens la responsabilité de partager mon expérience d’ici avec mon pays. Mais si je repars, ce sera comme une nouvelle immigration. La Colombie change, les Colombiens ont changé, et moi peut-être encore plus. » M. Uribe prend réellement conscience de cet écart qui se creuse entre lui et ceux qu’il a laissés au pays lorsqu’il fréquente les festivals l’été. «On repère tout de suite ceux qui viennent de débarquer, raconte-t-il. En Amérique latine, c’est encore assez normal par exemple de laisser ses déchets par terre, et les nouveaux arrivants continuent à le faire. Lorsqu’ils arrêtent ou lorsqu’ils commencent à faire la file pour prendre le bus, c’est la preuve qu’ils commencent à s’intégrer.» D’origine chilienne, Brunilda Reyes a fui son pays au début des années 80, en pleine dictature d’Augusto Pinochet. Une première fois en France pendant 14 ans. Croyant que le régime est tombé, elle retourne au Chili dans les années 90. Mais même s’il n’est officiellement plus au pouvoir, le général Pinochet tient toujours le pays, et elle et sa famille sont en danger. Ils débarquent à Montréal en 1995. «Je n’ai pas voulu faire la même erreur qu’en France, souligne-t-elle. Je ne voulais pas vivre en projetant un hypothétique retour. J’avais quatre enfants. Pour eux, il fallait que je m’intègre. » Mme Reyes décide alors de ne pas fréquenter sa communauté. Elle a besoin de toute sa force pour s’intégrer. De toute façon, ceux qui sont arrivés dans les années 70 ne comprennent pas les gens comme elle, confie-t-elle, ceux qui quittent le pays alors que, croientils, la démocratie est revenue. «Je refusais de vivre complètement à la chilienne, raconte-t-elle. Nous parlions français à la maison lorsque les enfants étaient petits, nous ne cuisinions pas exclusivement chilien et nous regardions le téléjournal. On me reprochait de perdre ma culture. Mais non, elle est très bien rangée ma culture, ne vous en faites pas ! Je sais la ressortir lorsque j’en ai envie. » Mamselle Ruiz a posé ses valises à Québec en 2009, avant de s’installer à Montréal. À l’époque, elle est artiste de cirque et a passé plusieurs années autour du monde avant de décrocher un rôle d’échassière au Cirque du Soleil. Très vite, elle comprend qu’il faudra qu’elle apprenne le français le plus rapidement possible. Incapable de parler la langue, elle se sent comme une enfant. «Je me suis posé beaucoup de questions sur moi, explique la jeune chanteuse et compositrice, révélation Radio-Canada en 2013-2014. J’avais peur de me perdre. Est-ce que je voulais devenir une femme québécoise? Rester la jeune femme mexicaine que j’étais? Est-ce que j’étais réellement une femme libre au Mexique comme je le croyais? J’ai découvert que j’étais plus soumise que je ne le pensais. Une expérience d’immigration, ça te fait sortir de ta zone de confort. Mais je m’épanouis ici. Je reçois un accueil magnifique avec ma musique. Les Montréalais aiment la culture latino. » À leur arrivée, tous trois ont ainsi refusé de s’enfermer dans leur communauté. Les Montréalais sont d’ailleurs dans leur grande majorité très accueillants, reconnaissent-ils… jusqu’à un certain point. Dans le milieu de travail, si tu ne t’appelles pas Tremblay, estiment-ils, il y a un moment où tu vas atteindre un plafond. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles ils ont tous les trois créé leur emploi. Freddrico Urube comme photographe, Mamselle Ruiz comme artiste et Brunilda Reyes comme fondatrice des Fourchettes de l’espoir, un organisme de bienfaisance luttant contre la malnutrition dans Montréal-Nord. Parce qu’elle ne peut concevoir que des enfants puissent ne pas manger à leur faim dans un pays comme le Canada. Depuis 22 ans que Brunilda Reyes est arrivée, ses enfants à elle ont bien grandi. Ils sont devenus des Québécois et se sont intégrés sur le marché du travail. Envisage-t-elle un retour au pays? Jamais. Elle est Montréalaise avant tout. « Mes enfants sont ici, ils sont en couple, mixte pour certains, explique-t-elle. Et puis, un retour au Chili serait vraiment problématique. Les gens qui sont restés t’en veulent d’avoir fui la dictature, sans imaginer le prix que tu as dû payer, toi, pour quitter les tiens et te reconstruire ailleurs. Alors, ma vie à moi maintenant, elle est ici. »