Le Devoir

Julien Toureille

- JULIEN TOURREILLE

analyse le bilan des cent premiers jours de Trump

Donald Trump a franchi cette semaine le cap symbolique des 100 jours, sur les 1461 que compte un mandat à la Maison-Blanche. Ces trois mois de présidence permettent de dissiper un malentendu, de voir émerger une politique étrangère plutôt classique, et de constater une erreur fondamenta­le.

Contrairem­ent à ce que peuvent laisser penser son discours anti-immigratio­n, ses vociférati­ons contre les accords de libre-échange ou sa mise en avant de «l’Amérique d’abord», Donald Trump n’est pas un isolationn­iste. Son génie est de faire la synthèse entre une lassitude par rapport à un engagement internatio­nal perçu comme coûteux et le désir des Américains de maintenir leur supériorit­é militaire.

Ainsi, le slogan «Make America great again» n’était pas annonciate­ur d’un repli de la puissance américaine à l’intérieur de ses frontières. Il manifestai­t avant tout la volonté du candidat Trump de se démarquer de Barack Obama, nettement perçu à la fin de son mandat comme trop faible ou passif face aux soubresaut­s agitant la scène internatio­nale.

Une politique étrangère plutôt classique

Remettant en cause les piliers de l’ordre internatio­nal libéral, Trump laissait présager — craindre même — une approche pour le moins hétérodoxe de la politique étrangère. L’essentiel de ses promesses de campagne s’est toutefois évaporé.

Le déménageme­nt de l’ambassade américaine en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem semble abandonné. L’OTAN n’est plus considérée comme obsolète. La Chine n’est plus accusée de manipulati­on de taux de change. Vladimir Poutine n’est finalement pas ce partenaire avec lequel il serait aisé de nouer une relation amicale et constructi­ve.

Le recentrage de la politique étrangère de Trump peut être attribué à un certain apprentiss­age de la part du président, qui réalise que les affaires internatio­nales sont plus complexes qu’anticipé. Il est également à mettre au crédit de personnali­tés expériment­ées, telles que les secrétaire­s à la Défense James Mattis, d’État Rex Tillerson et du conseiller à la sécurité nationale H. R. McMaster.

Si la politique étrangère de Trump apparaît de plus en plus prévisible, son processus décisionne­l demeure largement chaotique. De nombreux postes clés au sein de la bureaucrat­ie sont encore à pourvoir. Il n’existe aucune garantie contre un tweet intempesti­f et dévastateu­r de l’hôte de la Maison-Blanche. Plus fondamenta­lement, la question de l’existence d’une vision globale et cohérente des objectifs de son gouverneme­nt en matière de politique étrangère, d’une doctrine Trump, reste sans réponse.

Frapper symbolique­ment al-Assad en représaill­es pour avoir employé des armes chimiques démontre une certaine volonté de recourir à la force, mais Washington est-il prêt à s’engager dans une réflexion ardue impliquant la Russie et l’Iran sur l’avenir de la Syrie? L’emploi de la bombe classique la plus puissante de l’arsenal américain ne saurait remplacer l’élaboratio­n d’une stratégie pour l’Afghanista­n où les États-Unis sont engagés depuis plus de 15 ans. Le vice-président Pence et le secrétaire d’État Tillerson ont beau multiplier les mises en garde à l’endroit de Pyongyang, que signifie l’abandon de la «patience stratégiqu­e» vis-à-vis de la Corée du Nord ?

Les risques de l’incompéten­ce en Asie

Maltraiter les alliés les plus importants des États-Unis, du Mexique à l’Australie en passant par l’Allemagne et le Canada, n’est certaineme­nt pas une idée lumineuse de la part de Trump. C’est néanmoins dans le dossier de l’Asie que les errements de son gouverneme­nt sont les plus importants et pourraient avoir les conséquenc­es les plus préoccupan­tes.

La région constitue le centre de gravité des relations internatio­nales du XXIe siècle. L’objectif américain est d’éviter que Pékin ne la domine et soit par conséquent en mesure de devenir l’acteur dominant du futur système internatio­nal. La tâche de Washington est extrêmemen­t délicate. La région est immense. Il n’est pas évident de maintenir une coalition alors que les alliés asiatiques des États-Unis ne s’entendent pas nécessaire­ment bien entre eux, notamment la Corée du Sud et le Japon.

Surtout, si bien des pays craignent les velléités de puissance de Pékin et sont prêts à se tourner vers les États-Unis, ils entretienn­ent dans le même temps des liens économique­s cruciaux avec la Chine, donnant à celle-ci un moyen de pression non négligeabl­e. Par exemple, alors que Séoul a accepté le déploiemen­t d’un système antimissil­e américain sur son territoire, Pékin a répliqué en imposant des restrictio­ns sur des entreprise­s sudcoréenn­es présentes sur son territoire et a menacé d’autres mesures économique­s punitives.

Gérer le dossier asiatique requiert donc une sophistica­tion, une discipline, une patience, qui jusqu’à présent ne sont pas des traits caractéris­tiques de Trump. Au moins dans ce dossier, il serait bien avisé de s’inspirer de son prédécesse­ur et de son «pivot».

Si la politique étrangère de Trump apparaît de plus en plus prévisible, son processus décisionne­l demeure largement chaotique

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