Le Devoir

Couillard et la subordinat­ion nationale

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Le chef de l’opposition officielle, Jean-François Lisée, propose la tenue d’une commission parlementa­ire itinérante pour entendre la population québécoise à la fois sur le principe de la légalisati­on de la marijuana et sur sa mise en oeuvre. Le premier ministre Philippe Couillard souhaite plutôt que la discussion ne porte que sur les enjeux touchant les compétence­s du Québec. Pourquoi limiter le débat public?

Alors qu’on souffle les 35 chandelles du rapatrieme­nt unilatéral de la Constituti­on canadienne, Philippe Couillard a repris, à l’égard de la légalisati­on de la marijuana, un argument semblable à celui que Pierre Elliott Trudeau avait utilisé à l’époque pour justifier ce changement, imposé sans l’accord de Québec, à la loi fondamenta­le de la fédération. Les députés libéraux fédéraux du Québec, qui avaient alors tous voté pour le rapatrieme­nt à une exception près, jouissent de toute la légitimité démocratiq­ue pour parler au nom des Québécois, avait avancé le premier ministre canadien.

En réponse au chef de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale cette semaine, le premier ministre a affirmé: « Il y a même des députés québécois à la Chambre des communes à Ottawa qui représente­nt des Québécois, et c’est là que va se dérouler le débat de fond sur la législatio­n. »

Philippe Couillard a évoqué la tenue d’un « forum » qui porterait sur les conséquenc­es de la légalisati­on de la marijuana dans les champs des compétence­s du Québec, que ce soit l’âge à partir duquel le consommate­ur serait autorisé à acheter la substance, les règles touchant la sécurité routière, les répercussi­ons sur la sécurité publique ou le choix des points de vente. La population québécoise, par l’entremise d’une consultati­on mise sur pied par l’Assemblée nationale ou le gouverneme­nt, n’a pas à débattre d’un projet de loi fédéral, soutient-il. « Ce qu’on doit faire au Québec, c’est prendre acte de ce qui est en train d’arriver à l’autre Parlement où nous sommes représenté­s», juge Philippe Couillard avec passivité.

Si on suit l’inclinatio­n du premier ministre, la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, représenta­it légitimeme­nt la population québécoise quand elle a félicité, avec un high five en Chambre, la ministre de la Santé, Jane Philpott, pour avoir imposé le chiche financemen­t fédéral en santé que le ministre Gaétan Barrette a tant décrié et contre lequel il en appelait à une mobilisati­on populaire.

Rappelons-nous les batailles qu’a menées le gouverneme­nt libéral — c’était celui de Jean Charest — contre l’abolition du registre des armes à feu, contre le resserreme­nt du Code criminel qui mettait à mal l’approche québécoise favorisant la réhabilita­tion, contre l’abandon par Ottawa du protocole de Kyoto. Plus récemment, le ministre des Relations canadienne­s, Jean-Marc Fournier, est monté au créneau pour dénoncer les coupes à Radio-Canada.

Selon un sondage Léger effectué l’an dernier, une majorité de Québécois est favorable à la légalisati­on de la marijuana. Mais il y a tout de même 40 % de la population qui s’y oppose. S’il devait y avoir des consultati­ons sur le sujet, nous voyons mal comment le gouverneme­nt Couillard pourrait empêcher la population de s’exprimer sur le fond de la question. De bons arguments militent pour la fin de la prohibitio­n de la marijuana: la consultati­on serait une excellente occasion de les faire valoir.

Philippe Couillard semble accepter de bonne grâce la subordinat­ion qu’impose au Québec l’ordre constituti­onnel canadien, dont nous savons qu’il est légal mais illégitime. Le premier ministre remet ainsi le Québec à sa place, celle d’une province comme les autres. Il devrait plutôt défendre les intérêts de la nation où qu’ils se trouvent au lieu de se cantonner dans une vision étriquée de son rôle. C’est d’autant plus important que le poids politique du Québec au sein de la fédération n’a jamais été aussi faible et qu’il continuera à diminuer, tandis que le Canada anglais a désormais le pays qu’il veut et que, pour lui, la question du Québec est réglée une fois pour toutes. Le premier ministre du Québec représente le peuple québécois dans toutes ses dimensions. Il faut le lui rappeler.

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ROBERT DUTRISAC

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