Le Devoir

Le DPCP sur la sellette

Véronique Hivon laisse entendre que tout n’a pas été fait pour vérifier les allégation­s d’Yves Francoeur

- MARIE-MICHÈLE SIOUI Correspond­ante parlementa­ire à Québec

Elle a vigoureuse­ment nié avoir en mains un dossier d’enquête visant deux élus libéraux la semaine dernière, mais voilà que la directrice des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP), Annick Murphy, a admis lundi qu’elle n’avait pas fait toutes les vérificati­ons qui sont à sa portée.

«Non, je ne veux pas m’engager à ça», a-t-elle aussi répondu quand la critique de l’opposition officielle en matière de Justice, Véronique Hivon, lui a demandé si elle pouvait donner la garantie qu’elle ferait les recherches nécessaire­s.

L’institutio­n que dirige Me Murphy est concernée par la déclaratio­n-choc du président de la Fraternité des policiers de Montréal, Yves Francoeur, qui a affirmé jeudi dernier que des procureurs ont été incapables de porter des accusation­s de fraude et de trafic d’influence contre deux élus libéraux, dans un dossier qui serait resté bloqué après avoir été transmis au DPCP.

Les élus, que le policier d’expérience n’a pas nommés, auraient accepté de procéder à des «modificati­ons législativ­es en retour de contributi­ons [de promoteurs immobilier­s liés à la mafia italienne] » au Parti libéral du Québec. L’un d’eux siégerait toujours à l’Assemblée nationale, a avancé Yves Francoeur.

Des avis écrits

Selon ce dernier, les libéraux ciblés par l’enquête auraient fait l’objet d’écoute électroniq­ue. Or, le Code criminel oblige l’envoi, dans les 90 jours suivant la période pour laquelle l’autorisati­on de l’écoute a été donnée, d’avis écrits servant à informer les personnes qu’elles ont été surveillée­s, a rappelé Véronique Hivon.

« Est-ce que vous pouvez nous dire si vous avez consulté le registre à cette fin, pour savoir s’il y a eu un avis d’envoyé à ces personnes-là pour les

aviser qu’elles ont fait l’objet d’écoute électroniq­ue ? » a-t-elle demandé, tout au début de l’étude des crédits du ministère de la Justice.

«Non, je n’ai pas fait cette démarche», a admis la DPCP, qui a aussi refusé de s’engager à fouiller le registre. «Je peux consulter tous les registres que nous avons, mais c’est comme aller à la pêche. Ce que je proposerai­s plutôt, c’est que M. Francoeur nous donne l’informatio­n», a-t-elle ajouté, en enjoignant une fois de plus au président de syndicat de prendre contact avec son équipe.

Moins de deux heures plus tard, la Fraternité a annoncé sur son compte Twitter que son président avait rencontré l’Unité permanente anticorrup­tion, mais pas le DPCP. « Les autorités compétente­s seront rencontrée­s en temps et lieu », était-il écrit.

Francoeur fait «mal» au DPCP

Interpellé­e sur l’intérêt de consulter le registre des avis d’écoute électroniq­ue, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a déclaré qu’il valait mieux « éviter de politiser le travail qui est fait par le DPCP». Elle a ensuite défendu l’intégrité de l’institutio­n indépendan­te, à laquelle Yves Francoeur fait « mal », selon elle. « Si, d’aventure, ce que M. Francoeur allègue est fondé, qu’il fasse état des faits le plus rapidement possible, parce que le mal qu’il fait à l’institutio­n est grave », a-t-elle dénoncé, avant de lancer une flèche aux partis d’opposition qui accordent créance aux allégation­s du président de syndicat. « Ceux et celles qui boivent ses paroles font aussi mal à l’institutio­n », a-t-elle lancé.

Pas de quoi rassurer Véronique Hivon, qui s’est dite « stupéfaite » des réponses de MM. Murphy et Vallée. « Ça ne veut pas dire, en soi, que ce serait concluant, mais de faire la vérificati­on, c’est un bon geste d’une ministre et d’une responsabl­e d’organisati­on pour pouvoir aller au fond des choses », a-t-elle insisté.

Yves Francoeur a affirmé que le dossier d’enquête dans lequel deux élus libéraux seraient mis en cause a été transmis au DPCP il y a au moins cinq ans. Il n’a pas précisé en quelle année l’écoute électroniq­ue aurait eu lieu. La loi prévoit qu’une demande d’autorisati­on pour procéder à l’écoute électroniq­ue doit être « signée par le procureur général de la province ou par le ministre de la Sécurité publique». Ces deux mêmes titulaires de charge publique sont responsabl­es d’envoyer l’avis concernant la mise sous écoute électroniq­ue.

Les ministres pas nécessaire­ment avisés

Or, cela n’implique pas que le procureur général — le ministre de la Justice — ou le ministre de la Sécurité publique soient nécessaire­ment avisés des requêtes policières pour procéder à de l’écoute électroniq­ue. « Il y a des procureurs de la Couronne qui sont des procureurs désignés pour se présenter au bureau d’un juge avec le policier qui fait [la demande d’écoute électroniq­ue] », a rappelé le criminalis­te Jean-Claude Hébert. Ces procureurs désignés ne sont pas tenus par la loi d’aviser le ministre de la demande d’autorisati­on pour faire de l’écoute électroniq­ue ou de l’envoi d’un avis sur la même question. «C’est à la discrétion du procureur de prévenir son patron, et à la discrétion du patron de prévenir le ministre», a déclaré Me Hébert.

Au bureau du premier ministre, le porte-parole Charles Robert a dit ne pas avoir été averti qu’un membre du parti avait été placé sous écoute électroniq­ue. «On n’intervient pas dans le cadre d’une enquête, qu’elle existe ou non », a-til aussi répondu, quand on lui a demandé si Philippe Couillard tentait d’identifier les deux élus montrés du doigt par Yves Francoeur.

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