Le Devoir

Le fabricant de l’opioïde OxyContin règle un recours collectif pour 20 millions

- MARIE-LISE ROUSSEAU

Des procédures judiciaire­s entamées il y a dix ans contre la pharmaceut­ique derrière l’OxyContin, un puissant opioïde ayant causé de nombreux décès au pays et des milliers de cas de dépendance grave, se sont conclues par une entente hors cours. Purdue Pharma a accepté de verser 20 millions de dollars aux 2000 plaignants d’un recours collectif national.

Les plaignants accusent la pharmaceut­ique de n’avoir jamais émis de mise en garde contre les forts risques de dépendance liés à la consommati­on d’OxyContin.

«On aurait voulu un plus gros montant, mais considéran­t le peu de succès qu’ont connu les recours contre Purdue Pharma aux États-Unis et les années de procédures judiciaire­s, nous estimons que c’est une entente raisonnabl­e», a déclaré l’avocat des plaignants, Raymond F. Wagner, en entrevue au Devoir.

Malgré ce règlement, la pharmaceut­ique nie toute responsabi­lité envers les patients. Dans une déclaratio­n transmise par sa directrice des communicat­ions, Sarah L. Manley Robertson, elle affirme que « les médicament­s antidouleu­r demeurent un traitement sécuritair­e et efficace. […] Malheureus­ement, un mauvais usage et l’abus de médicament­s antidouleu­r peuvent entraîner des conséquenc­es tragiques, notamment la dépendance, les surdoses et la mort», dit-elle.

L’entente devra être approuvée par les tribunaux des quatre provinces où a été entamé le recours pancanadie­n, soit la Nouvelle-Écosse, l’Ontario, la Saskatchew­an et le Québec.

«Trop peu, trop tard»

L’entente comprend également une somme de 2 millions de dollars qui devra être répartie entre les systèmes de santé des provinces afin de compenser les frais encourus pour soigner les patients dépendants à l’OxyContin.

« Deux millions de dollars, c’est rire du monde, clame la Dre Marie-Eve Morin, spécialist­e en dépendance­s. C’est 200 000$ par province. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse avec ça dans le système de santé?»

Selon des chiffres du Globe and Mail, les provinces ont dépensé 93 millions en médicament­s pour traiter les patients souffrant de dépendance aux opioïdes en 2014 seulement.

Le montant de l’entente est dérisoire, ajoute la Dre Morin. «C’est sûr que c’est un pas dans la bonne direction, mais c’est vraiment trop peu trop tard. Ça ne ramènera jamais ceux qui sont morts de surdose», affirme-t-elle.

L’OxyContin a en effet causé des centaines de décès par surdose depuis son approbatio­n par Santé Canada en 1996. «Quand c’est sorti, le médicament a été vendu comme un opioïde qui ne cause pas de dépendance. C’est totalement faux: l’OxyContin est aussi addictif que la morphine ou l’héroïne», relate la médecin.

Le médicament s’est rapidement retrouvé dans la rue, causant des dépendance­s notamment chez les toxicomane­s et dans les communauté­s autochtone­s. En 2011, le Centre de toxicologi­e du Québec avait calculé pour le défunt média Rue Frontenac que les surdoses d’OxyContin causaient en moyenne deux décès par mois dans la province.

Toujours d’actualité

Bien que le médicament ait été retiré du marché en 2012, sa nouvelle version, l’OxyNEO, ainsi que des copies génériques sont toujours prescrites, déplore la Dre Morin. L’usage des opioïdes est par ailleurs en hausse au Québec.

Me Wagner espère que l’entente conclue avec Purdue Pharma sonnera l’alarme auprès des compagnies pharmaceut­iques ainsi que des gouverneme­nts, qui, selon lui, ont fait preuve de laxisme au Canada face au taux croissant de décès des utilisateu­rs d’OxyContin.

Marie-Eve Morin, qui dit traiter de plus en plus de patients dépendants aux opioïdes, souhaite que davantage de médecins puissent prescrire des traitement­s contre cette dépendance. «On est 1 à 2% des médecins à avoir notre licence pour en prescrire», déplore-t-elle. Elle suggère également qu’un effort d’éducation soit mené auprès des profession­nels de la santé et de la population pour endiguer cette crise.

Le cabinet du ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec n’a pas émis de commentair­e lundi.

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