Le Devoir

La voix africaine est absente du comité-conseil

Une pétition circule pour dénoncer le manque apparent de diversité

- LISA-MARIE GERVAIS

Des Québécois originaire­s de l’Afrique subsaharie­nne déplorent l’absence de membres de leur communauté au sein du comité-conseil sur le racisme et la discrimina­tion systémique, créé il y a un mois par le ministère de l’Immigratio­n. «Un manque flagrant», qui doit être corrigé, déplore le Comité d’initiative provisoire des AfroQuébéc­ois (CRIPAQ), qui signe une lettre ouverte pour réclamer que leur voix soit entendue dans une «étape aussi cruciale du processus.»

«C’est surprenant que la catégorie la plus touchée en matière d’intégratio­n à l’emploi ne soit pas représenté­e à ce comité», s’étonne Doudou Sow, consultant formateur en intégratio­n profession­nelle et gestion de la diversité et membre du CRIPAQ. Il fait ainsi référence à une étude publiée en 2012 par la Commission des droits de la personne qui révélait que, sur le marché du travail, les noms à consonance africaine étaient les plus discriminé­s (42%), comparativ­ement aux noms arabes (35 %) et latinoamér­icains (28 %).

Présidé par Maryse Alcindor, première sousminist­re noire, le comité-conseil, qui se penchera sur les modalités de la consultati­on sur le racisme et la discrimina­tion systémique, compte 14 membres, qui sont pour la plupart des universita­ires haïtiens d’origine ou issus de la communauté arabo-musulmane. Tout en saluant l’initiative, certaines personnes nommées à ce comité ont néanmoins souligné le fait qu’il y ait effectivem­ent beaucoup d’universita­ires et aucun représenta­nt des 85 organismes ayant réclamé un tel exercice, à part les quatre porteparol­e qui en avaient fait publiqueme­nt la demande au début de l’année.

Basé sur l’«expertise»

Mise au fait de ces critiques, la ministre de l’Immigratio­n a rappelé que le rôle du comité n’est pas de «lutter» contre le racisme et la discrimina­tion, mais plutôt de «conseiller» le gouverneme­nt sur la consultati­on prévue pour cet automne. «Le comité est composé notamment de chercheurs qui ont été choisis en fonction de leur expertise et de leur expérience», a indiqué l’attachée de presse de la ministre, Gabrielle Tellier. Les organismes seront plus tard invités à participer à la consultati­on elle-même, y compris des membres de la communauté subsaharie­nne.

Pour Doudou Sow, le fait que le ministère ait justifié que ses nomination­s ont été faites sur la base de «l’expertise» est un comble. «C’est l’arroseur arrosé. Le ministère met en place une commission qui prétend combattre, et à juste titre, les causes de la discrimina­tion, mais tombe dans le même panneau. »

M. Sow est d’autant plus étonné qu’il est reconnu pour son expertise sur les questions de l’intégratio­n au marché du travail — il travaille depuis longtemps sur le sujet et a écrit des livres — et qu’il avait même été pressenti par la ministre Kathleen Weil et sa garde rapprochée. «Je n’ai jamais eu de retour. Mais même si le gouverneme­nt venait me voir demain pour m’inclure, je dirais non. Je ne veux pas que ce soit perçu comme un combat pour ma personne. Je le fais pour mes enfants et toute la prochaine génération. »

Paul Eid, sociologue spécialist­e de l’immigratio­n qui fait partie de ce comité-conseil, se veut rassurant. « Je ne travaille pas pour un groupe ou un autre. L’idée c’est de documenter les causes, et ça touche tous les groupes racisés», soutient-il. « Je crois que c’est la même chose pour tous les membres du groupe ».

Pas des Haïtiens

Mame Moussa Sy, du centre communauta­ire Bon courage de Place Benoit, est lui aussi déçu de la compositio­n du comité-conseil. «Ça ne tient pas la route. Ça ne reflète pas la diversité», dit-il. Après avoir partagé son coup de gueule sur les réseaux sociaux, il a lancé une pétition qui a récolté environ 500 signatures jusqu’ici.

Certes, des Haïtiens siègent au comitécons­eil, mais leur voix n’est pas celle des Africains subsaharie­ns, explique-t-il. «Le scientifiq­ue, le professeur, l’intervenan­t haïtien qui est là, il sera toujours porté à prendre des exemples de son quotidien, de ce qu’il a vécu. Mais c’est très différent de ce qui se passe au Sénégal, au Congo», explique-t-il.

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