Double discours libéral
Le processus parlementaire a ses défauts, mais c’est le prix à payer pour tenir nos gouvernements à l’oeil. Ces derniers ont souvent de la difficulté à en supporter la lourdeur et les libéraux de Justin Trudeau ne font pas exception. À tant vouloir y échapper, ils réussissent seulement à empirer les choses et à jeter un sérieux doute sur leur promesse de respect du Parlement.
Depuis le mois de mars, la Chambre des communes est ralentie par des mesures dilatoires de l’opposition, fruit d’une dispute largement provoquée par le gouvernement, sa leader parlementaire Bardish Chagger et leurs propositions de réforme des règles parlementaires. N’eût été que de ces dernières, il n’y aurait rien à redire, mais le gouvernement insistait sur un échéancier serré et refusait obstinément de s’engager à ne pas agir unilatéralement en cas d’impasse. La levée de boucliers a perturbé l’ordre du jour, l’ensemble des travaux et l’échéancier du gouvernement, qui a des projets de loi importants en chantier. Pour mettre fin à cette confrontation, Mme Chagger a écrit à ses homologues dimanche pour leur annoncer que le gouvernement n’irait de l’avant qu’avec les réformes inscrites dans son programme. Les libéraux ont promis une période de questions hebdomadaire du premier ministre, l’élection des présidents de comités parlementaires par scrutin secret, l’amélioration des mécanismes de surveillance financière, un encadrement de l’utilisation de la prorogation et des projets de loi omnibus. Le gouvernement pourrait mettre en pratique l’essentiel de ces engagements sans même modifier formellement les règles. Comme cela n’en assurerait toutefois pas la pérennité, il a annoncé qu’il présenterait une motion pour changer le règlement, quitte à agir seul. L’opposition est en furie et avec raison, car, en vertu des conventions de la Chambre, le consensus doit prévaloir, promesses ou pas. On ne peut reprocher à un parti de vouloir respecter ses engagements, mais ne pas respecter les formes peut avoir un prix. En changeant unilatéralement des règles importantes de la Chambre, le gouvernement actuel pave la voie au suivant, quand les libéraux seront peut-être dans l’opposition.
Les libéraux mettent leurs autres idées sur la glace, dont l’abolition des demi-séances du vendredi et, surtout, la programmation des travaux. En vertu de cette pratique, le gouvernement aurait consulté l’opposition au moment du dépôt d’un projet de loi pour fixer le temps alloué à toutes les étapes de l’étude du projet de loi. En cas de désaccord, il aurait pu imposer son calendrier, menottant l’opposition sans avoir à s’expliquer.
Ce recul est bienvenu, mais Mme Chagger en prend prétexte pour lancer un avertissement. « Dans les circonstances, écrit-elle, le gouvernement devra recourir plus souvent à l’attribution de temps afin de mettre en oeuvre» son programme législatif. On croirait entendre les ministres conservateurs!
Rien ne justifie cette menace. Ce gouvernement a un menu législatif plutôt maigre après une année et demie au pouvoir. Il a quand même eu recours à l’attribution de temps pour accélérer l’étude de 11 projets de loi, mais les 14 motions et deux avis visaient rarement à briser une impasse. Durant la première année du dernier gouvernement Harper, 21 motions d’attribution de temps ont été adoptées, affectant l’étude de… 11 projets de loi, selon un relevé réalisé pour la Revue parlementaire canadienne.
La procédure d’attribution de temps, introduite en 1969, permet la concertation entre les partis pour organiser les travaux, mais les gouvernements s’en servent de plus en plus pour imposer leur rythme. Les libéraux ne sont pas différents. Ils disent vouloir consulter et discuter, mais leurs attaques contre les conservateurs, leur insistance à vouloir agir unilatéralement et leurs menaces de bâillon envoient le message contraire aux autres partis.
Si leurs objectifs législatifs sont aujourd’hui contrecarrés, comme ils l’ont été l’an dernier, c’est qu’ils n’ont pu, comme à l’époque, résister à la tentation de manoeuvrer pour essayer d’accroître leur contrôle sur le Parlement. Leur appétit de pouvoir non seulement nuit à la réalisation de leurs promesses, mais les contredit.