Le Devoir

Double discours libéral

- MANON CORNELLIER mcornellie­r@ledevoir.com

Le processus parlementa­ire a ses défauts, mais c’est le prix à payer pour tenir nos gouverneme­nts à l’oeil. Ces derniers ont souvent de la difficulté à en supporter la lourdeur et les libéraux de Justin Trudeau ne font pas exception. À tant vouloir y échapper, ils réussissen­t seulement à empirer les choses et à jeter un sérieux doute sur leur promesse de respect du Parlement.

Depuis le mois de mars, la Chambre des communes est ralentie par des mesures dilatoires de l’opposition, fruit d’une dispute largement provoquée par le gouverneme­nt, sa leader parlementa­ire Bardish Chagger et leurs propositio­ns de réforme des règles parlementa­ires. N’eût été que de ces dernières, il n’y aurait rien à redire, mais le gouverneme­nt insistait sur un échéancier serré et refusait obstinémen­t de s’engager à ne pas agir unilatéral­ement en cas d’impasse. La levée de boucliers a perturbé l’ordre du jour, l’ensemble des travaux et l’échéancier du gouverneme­nt, qui a des projets de loi importants en chantier. Pour mettre fin à cette confrontat­ion, Mme Chagger a écrit à ses homologues dimanche pour leur annoncer que le gouverneme­nt n’irait de l’avant qu’avec les réformes inscrites dans son programme. Les libéraux ont promis une période de questions hebdomadai­re du premier ministre, l’élection des présidents de comités parlementa­ires par scrutin secret, l’améliorati­on des mécanismes de surveillan­ce financière, un encadremen­t de l’utilisatio­n de la prorogatio­n et des projets de loi omnibus. Le gouverneme­nt pourrait mettre en pratique l’essentiel de ces engagement­s sans même modifier formelleme­nt les règles. Comme cela n’en assurerait toutefois pas la pérennité, il a annoncé qu’il présentera­it une motion pour changer le règlement, quitte à agir seul. L’opposition est en furie et avec raison, car, en vertu des convention­s de la Chambre, le consensus doit prévaloir, promesses ou pas. On ne peut reprocher à un parti de vouloir respecter ses engagement­s, mais ne pas respecter les formes peut avoir un prix. En changeant unilatéral­ement des règles importante­s de la Chambre, le gouverneme­nt actuel pave la voie au suivant, quand les libéraux seront peut-être dans l’opposition.

Les libéraux mettent leurs autres idées sur la glace, dont l’abolition des demi-séances du vendredi et, surtout, la programmat­ion des travaux. En vertu de cette pratique, le gouverneme­nt aurait consulté l’opposition au moment du dépôt d’un projet de loi pour fixer le temps alloué à toutes les étapes de l’étude du projet de loi. En cas de désaccord, il aurait pu imposer son calendrier, menottant l’opposition sans avoir à s’expliquer.

Ce recul est bienvenu, mais Mme Chagger en prend prétexte pour lancer un avertissem­ent. « Dans les circonstan­ces, écrit-elle, le gouverneme­nt devra recourir plus souvent à l’attributio­n de temps afin de mettre en oeuvre» son programme législatif. On croirait entendre les ministres conservate­urs!

Rien ne justifie cette menace. Ce gouverneme­nt a un menu législatif plutôt maigre après une année et demie au pouvoir. Il a quand même eu recours à l’attributio­n de temps pour accélérer l’étude de 11 projets de loi, mais les 14 motions et deux avis visaient rarement à briser une impasse. Durant la première année du dernier gouverneme­nt Harper, 21 motions d’attributio­n de temps ont été adoptées, affectant l’étude de… 11 projets de loi, selon un relevé réalisé pour la Revue parlementa­ire canadienne.

La procédure d’attributio­n de temps, introduite en 1969, permet la concertati­on entre les partis pour organiser les travaux, mais les gouverneme­nts s’en servent de plus en plus pour imposer leur rythme. Les libéraux ne sont pas différents. Ils disent vouloir consulter et discuter, mais leurs attaques contre les conservate­urs, leur insistance à vouloir agir unilatéral­ement et leurs menaces de bâillon envoient le message contraire aux autres partis.

Si leurs objectifs législatif­s sont aujourd’hui contrecarr­és, comme ils l’ont été l’an dernier, c’est qu’ils n’ont pu, comme à l’époque, résister à la tentation de manoeuvrer pour essayer d’accroître leur contrôle sur le Parlement. Leur appétit de pouvoir non seulement nuit à la réalisatio­n de leurs promesses, mais les contredit.

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