Le Devoir

Nouveau centre hospitalie­r à Québec : des milliards pour un mauvais projet

- LOUIS GERMAIN Acteur sociopolit­ique, Québec

Mardi 11 avril 2017, le ministre Barrette annonçait le démarrage prochain de la constructi­on de la première phase du NCH — Nouveau Centre hospitalie­r — issu de la fusion de l’Hôtel-Dieu (HDQ) avec l’Hôpital de l’Enfant-Jésus (HEJ). Résumons: le NCH est un projet de près de quatre milliards de dollars déguisé en deux milliards, lancé sans aucun processus décisionne­l préalable, fantasme du CHU de Québec et de quelques médecins d’avoir un «CHUM» eux aussi, dénoncé par le bureau du ministre, contesté par plusieurs experts, conduit tambour battant avec la collaborat­ion forcée, résignée et muette d’une forte majorité de médecins.

Ainsi, à moins d’un retour à la raison de dernière minute, va se construire une exorbitant­e fausse bonne idée. La bonne idée alléguée, c’est de réunir toutes les spécialité­s dans un hôpital de 750 lits où les patients seront l’objet des meilleurs soins possible.

Mais l’apparente bonne idée se détraque lorsqu’on sait que, depuis 20 ans, il ne se construit presque plus de très gros hôpitaux en Occident. Pourquoi? Parce qu’on s’est aperçu qu’au-dessus de 600 lits, les hôpitaux perdaient en qualité et en efficacité de soins. […]

La «bonne idée» se fausse complèteme­nt lorsqu’on compare le projet actuel, à deux milliards, avec la promesse originale de super hôpital qui, on s’en est rendu compte en 2014, aurait coûté quatre milliards. Pourquoi? Parce qu’aucun processus décisionne­l digne de ce nom n’a précédé une décision initialeme­nt chiffrée superficie­llement à 1,3 milliard de dollars. On a décidé de réaliser un rêve sans en vérifier ni la pertinence ni la faisabilit­é. Puis quand on a réalisé le coût du rêve, le Conseil du trésor a décidé d’un plafond de 2 milliards.

Alors, du gros hôpital où tous les services de pointe sont réunis, on passe au gros hôpital où la majorité des services sont soit fortement diminués, soit éliminés. L’oncologie, les neuroscien­ces et certains secteurs des discipline­s chirurgica­les sont assez bien servis. Pour la plupart des autres services, on coupe de manière radicale et désastreus­e pour atteindre la cible de deux milliards.

La gériatrie, entre autres, est considérab­lement réduite. La future unité de dialyse n’est qu’à 25% des besoins. L’unité de psychiatri­e est carrément éliminée. On ne prévoit plus qu’une seule salle de cathétéris­me cardiaque. […]

Mais toutes ces compressio­ns ne suffisent pas à ramener le budget au niveau prescrit. Alors pour déguiser un projet de 4 milliards en projet de 2 milliards, on affirme fallacieus­ement que le stationnem­ent de 100 millions sera autofinanc­é, on ignore le coût de requalific­ation de l’Hôtel-Dieu, on passe sous silence le coût de constructi­on ailleurs des nouvelles unités de soins nécessaire­s à la suite de leur éliminatio­n dans la conception du NCH. […]

Et les médecins ? Au début, la perspectiv­e des futures installati­ons immobilièr­es et techniques en a gagné un certain nombre. Ils y voyaient d’inspirante­s possibilit­és pour leurs patients. Aujourd’hui, au vu des compressio­ns qu’on leur annonce depuis dix-huit mois, la grande majorité a déchanté. Mais nul ne proteste publiqueme­nt, de peur de représaill­es et convaincu que les dés sont jetés. Alors, résignatio­n et silence.

À l’automne 2014, le cabinet du ministre Barrette lui recommanda­it, dans un rapport étoffé, de stopper le projet. On y affirme notamment que «le dossier comporte son lot d’erreurs, d’omissions et de vices cachés, et résulte d’un virage précipité aux motivation­s nébuleuses ». On écrit : « Le projet prévoit de dépenser près de 70 % du budget pour de la reconstruc­tion inutile, au sens où les espaces ainsi clonés sont présenteme­nt neufs et fonctionne­ls. » On y lit également que « le projet ne saurait être optimisé afin de le rendre abordable sans réduire drastiquem­ent l’offre de services en soins de courte durée dans la région métropolit­aine de Québec ». Peu importe, le ministre Barrette, en son déni arrogant habituel, persiste.

Or tout cet argent ne comblera qu’environ 30% des besoins hospitalie­rs de la région de Québec. Quel argent restera-t-il pour rénover les autres hôpitaux dans lesquels 70 % des soins sont prodigués? Déjà, aujourd’hui, ces autres hôpitaux du CHU ont besoin de mises à niveau en profondeur.

Que faire? Malgré les millions déjà dépensés, il faut stopper ce mauvais projet et lancer le processus décisionne­l adéquat. Il s’agit de prendre les bonnes décisions en matière hospitaliè­re pour Québec, en pensant aux cinquante prochaines années.

Après tout, on avait déjà dépensé 70 millions pour la rénovation avortée de l’Hôtel-Dieu. Ce n’est pas parce qu’on a dépensé tout près de la même somme sur le NCH qu’on doit poursuivre cette fausse bonne idée.

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ALEX BRUCHEZ CC Le plan du gouverneme­nt implique la fusion de l’Hôtel-Dieu (photo) avec l’Hôpital de l’Enfant-Jésus.

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