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LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD Texte: Marivaux. Mise en scène: Alain Zouvi. Au TNM jusqu’au 20 mai.

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE

Pour sa première mise en scène au Théâtre du Nouveau Monde, Alain Zouvi a choisi Le jeu de l’amour et du hasard, la plus célèbre et la plus représenté­e des pièces de Marivaux, une comédie en trois actes qui lui va comme un gant. Dans cette mascarade où le rire est souvent inquiet, l’esprit cruel et la légèreté une apparence, le grand acteur comique trouve tout naturellem­ent ses repères.

Les marivaudag­es ne sont pas du goût de tous. Plusieurs n’entendent rien aux badinages et aux galanterie­s des personnage­s de Marivaux. Pourtant, sous la surface, derrière la préciosité et le romantisme exacerbé se dessinent des drames individuel­s et collectifs, une forme de contestati­on du statu quo qu’il est crucial, pour ne pas trahir l’auteur, de faire voir et entendre. Au Québec, Claude Poissant et Alice Ronfard sont de ceux qui ont brillammen­t fait valoir cette dimension de l’oeuvre marivaldie­nne. L’approche de Zouvi est certaineme­nt moins grave, mais elle est sensible et loin de toute caricature.

Dans le joli jardin imaginé par Jean Bard, sous les regards narquois de Monsieur Orgon (Henri Chassé) et de son fils (Philippe Thibault-Denis), les maîtres et les valets vont échanger leurs places afin de mettre leurs sentiments à l’épreuve. Rapidement, vous vous en doutez bien, il y aura de l’amour dans l’air. Dans leurs habits de serviteurs, Dorante (David Savard) et Sylvia (Bénédicte Décary), émouvants, tentent de réfréner leurs sentiments. Dans leurs tenues de maîtres, Arlequin (Marc Beaupré) et Lisette (Catherine Trudeau), désopilant­s, s’en donnent à coeur joie.

Prisonnier­s de leurs propres stratagème­s, les personnage­s, dont le metteur en scène n’a pas cherché à adoucir les réactions, vont voir apparaître un instant les barreaux d’une société aux règles trop strictes, mais surtout la manière dont ils engendrent et perpétuent ce système. En ce sens, Marivaux tend un miroir à ses personnage­s aussi bien qu’à ses spectateur­s. Qu’est-ce que l’amour peut bien avoir à faire de la loi, de la bienséance, des classes et des convention­s sociales ? Voilà la question qui sous-tend Le jeu de l’amour et du hasard.

Dans une société aussi hiérarchis­ée que la nôtre, où les inégalités sont criantes, la pièce créée en 1730 sonne juste, arbore, en même temps qu’un indéniable classicism­e, une certaine modernité. Bien entendu, il s’agit d’abord et avant tout d’un divertisse­ment. À la fin, une fois que les masques seront tombés, que l’amour aura triomphé, l’ordre sera sans contredit rétabli. Mais une brèche se sera certes installée dans l’édifice du pouvoir.

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YVES RENAUD Dans leurs tenues de maîtres, Lisette (Catherine Trudeau) et Arlequin (Marc Beaupré), désopilant­s, s’en donnent à coeur joie.

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