Quand bédé rime avec bébé
LE NOMBRIL DU MONSTRE Texte, mise en scène et dessins: Félix Beaulieu-Duchesneau. À la Petite Licorne, jusqu’au 12 mai.
Axé sur un thème relativement peu exploré, l’appréhension de la paternité, le premier solo du comédien Félix Beaulieu-Duchesneau aurait connu une gestation beaucoup plus longue qu’une grossesse: 14 années! Liant son vieux rêve de bande dessinée au théâtre, le créateur organise son récit d’autofiction autour de la métaphore parlante (dans tous les sens…) du nombril. Cette marque de naissance symbolise aussi un égocentrisme s’accordant mal avec les responsabilités parentales.
Devenir père, c’est en effet devoir grandir, dépasser son nombrilisme, voire renoncer à certains rêves. Et il y a bien du chemin à parcourir pour le protagoniste du Nombril du monstre qui, à 25 ans, admet qu’il est encore lui-même un enfant. Le futur père décide alors d’accompagner le processus procréatif de sa compagne avec sa propre création: une bande dessinée chroniquant à mesure les angoisses qui l’habitent.
Texte, mise en scène, interprétation, dessins : Félix Beaulieu-Duchesneau porte pratiquement tous les chapeaux créatifs dans ce spectacle très personnel et empreint d’autodérision. Admettons que cela prend un certain courage pour montrer une image ainsi caricaturée de soi — ou en tout cas d’une version plus jeune. L’immaturité du personnage est en effet un peu agaçante, tout comme l’humour parfois puéril qui en découle.
S’il part de filons porteurs, le texte paraît trop souvent manquer d’introspection ou de profondeur, et se cantonne dans l’anecdotique. Le narrateur y reconstitue ainsi des conversations terre à terre avec ses proches, les chicanes avec sa blonde, au fil de dialogues où il incarne tour à tour tous les interlocuteurs. Sauf exception (dont la sage-femme, délicieusement croquée), ce comédien au talent pourtant polymorphe n’y trouve pas non plus ses meilleures compositions.
Le spectacle n’est certes pas exempt de fantaisie. Témoin de ce dialogue attendrissant qu’entretient le narrateur avec son mentor plus grand que nature, Félix Leclerc — ou du moins avec sa statue au parc La Fontaine, qu’il devra apprendre à déboulonner. Mais Le nombril du monstre semble un peu en déficit de ce qui faisait le charme du Nid, la fable que Félix Beaulieu-Duchesneau avait coécrite avec Sandrine Cloutier: la poétisation du réel, la transposition du quotidien à partir, là aussi, d’un épisode vécu.
Heureusement, l’univers visuel supplée en partie ces lacunes. Les dessins en direct apportent un ludisme certain à l’oeuvre, et la naïveté qui se déploie dans cet univers bédéesque passe mieux la rampe. L’interprète crée tout un univers en jouant de manière inventive avec quelques accessoires, une table à dessin, une lampe. Sur ce plan-là, l’amalgame, assez original, du théâtre et de la bande dessinée est réussi.