Le Devoir

Se remettre sur pied

Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade, et Mehdi Idir parlent de leur film Patients

- FRANÇOIS LÉVESQUE

C’est la hantise de bien des gens : se réveiller dans une chambre d’hôpital, hébété, et se rendre compte, avec un effroi croissant, qu’on est paralysé. Pour Fabien Marsaud, ce cauchemar devint réalité. Il ne devait pas remarcher. Et pourtant, après une année de rééducatio­n, celui qu’on connaît dorénavant sous le nom de scène de Grand Corps Malade a réussi à se remettre sur pied, littéralem­ent. Il a tiré de l’expérience un roman autobiogra­phique, puis un film, qu’il a coréalisé avec Mehdi Idir. Rencontre.

Ben, l’alter ego de Fabien Marsaud, a plongé dans une piscine en eaux trop peu profondes. Une vertèbre cervicale cassée, et le voilà tétraplégi­que incomplet, sa longue silhouette de joueur de basket inanimée sur un lit dans un centre spécialisé. Sur place, Ben apprendra à connaître d’autres infortunés, comme Farid. Certains sont aux prises avec un sort encore pire que le sien.

Il sera long et ardu, le chemin de la rééducatio­n, mais Ben est résilient. Et il a de l’humour, malgré tout.

«Je ne pensais pas tirer un film du livre, qui était en soi une expérience nouvelle, mais l’idée est venue assez rapidement», reconnaît Fabien Marsaud.

« Je pensais bien pouvoir raconter cette histoire de l’extérieur — même si c’est la mienne. C’était il y a vingt ans, et déjà, la rédaction du livre avait été très sereine… Ça n’a pas été douloureux de me replonger là-dedans. Par ailleurs, réaliser un premier film, comme ça, c’était une mission. Avec Mehdi, je savais qu’on aurait mille choses à faire, mille problèmes à régler, et qu’il n’y aurait pas de place pour revivre le passé. C’est vrai qu’on a tourné sur les lieux de ma réadaptati­on et que ces couloirs-là étaient chargés de souvenirs, mais j’étais, je suis, ailleurs.»

Une aventure humaine

Il faut savoir que Fabien Marsaud et Mehdi Idir sont de vieux complices, le second ayant en effet réalisé les vidéoclips du premier.

«On est très potes dans la vie, explique Mehdi Idir. Et puis, entre nous, il n’y a pas d’histoires d’ego, alors ça facilite le travail. Comme on savait qu’on allait bosser avec des profession­nels très expériment­és, à tous les niveaux, on s’est dit qu’on allait beaucoup travailler en amont. Du coup, on a décortiqué le scénario tous les deux en précisant ce qu’on voulait dire et ce qu’on voulait montrer, et comment on voulait le montrer. »

Comme filmer l’action à hauteur de fauteuil roulant, ce qui engendre une perspectiv­e, une vision du monde, à laquelle on n’est pas habitué.

« On a parlé, et du fond, et de la forme, de telle sorte qu’au moment de rencontrer les équipes, tout était limpide. Et ça, ça nous a permis de dégager du temps afin de travailler davantage avec les acteurs », précise-t-il encore.

On s’en doute, il s’agissait là, justement, de rôles très exigeants sur le plan physique. Un kinésiolog­ue a appris aux acteurs quels gestes faire et ne pas faire, le tout suivi de journées d’immersion en fauteuil roulant auprès de personnes en situation de handicaps prêtes à répondre à toutes les questions des comédiens. Pour l’anecdote, les figurants étaient de vrais résidents du centre au moment du tournage.

«Souvent, tout devait passer par leur visage, leurs yeux. Autant devant que derrière la caméra, il y a eu quelque chose d’assez fort, humainemen­t, qui s’est produit sur ce plateau», confie Fabien Marsaud.

«Je pensais bien pouvoir raconter cette histoire de l’extérieur — même si c’est l a mienne. C’était il y a vingt ans, et déjà, la rédaction du livre avait été très sereine. Fabien Marsaud

Subvertir l’étiquette

Film senti, Patients est dénué de didactisme. Pour autant, on ne se prive pas d’y faire passer quelques messages. Lors d’une scène clé, Farid explique à son ami, entre autres réalités nouvelles, qu’il doit à présent se résoudre à être dans l’oeil d’autrui, d’abord, un handicapé, et, ensuite seulement, une personne. Son handicap est la première chose que les gens remarquero­nt et c’est la première chose qui le définira dans leur esprit. Puis, ils dépasseron­t cela. Peut-être.

Or, on peut aussi prendre une étiquette et se l’approprier pour mieux la subvertir. Entré en rééducatio­n en tant que Fabien Marsaud, ce dernier s’est ainsi réinventé Grand Corps Malade, embrassant une différence qui inspire désormais à tous courage et déterminat­ion.

Patients prend l’affiche ce vendredi.

 ?? PEDRO RUIZ LE DEVOIR ?? Mehdi Idir et Fabien Marsaud sont de vieux complices, le premier ayant en effet réalisé les vidéoclips du second.
PEDRO RUIZ LE DEVOIR Mehdi Idir et Fabien Marsaud sont de vieux complices, le premier ayant en effet réalisé les vidéoclips du second.

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