Le Devoir

Un projet en gestation

Anne-Marie Olivier et Véronique Côté proposent une riche matière, qui n’a pas encore trouvé sa forme

- SIMON LAMBERT Collaborat­eur

VENIR AU MONDE Texte : Anne-Marie Olivier. Mise en scène : Véronique Côté. Une production du Trident, en collaborat­ion avec Bienvenue aux dames. Au Trident jusqu’au 20 mai.

Venir au monde, sur un texte d’Anne-Marie Olivier et dans une mise en scène de Véronique Côté, rassemble de vraies histoires de naissances dans une grande fresque, une ode à la vie. Si tous les ingrédient­s sont rassemblés pour un spectacle généreux, on garde toutefois le net sentiment d’un projet encore en gestation.

Les différente­s histoires gravitent autour de l’accident de voiture d’une femme qui, sur le point d’accoucher et sans soutien, a dû emprunter une route de forêt difficile vers l’hôpital. L’accident est sobrement évoqué par un large pare-brise fracturé, sous le poids d’un orignal inopportun. Cette évocation demeurera en fond de scène tout au long du spectacle: c’est vers ce moment que convergent tous les autres. Chacun des intervenan­ts, autour de la voiture bosselée, verra ainsi racontée la grande petite histoire de sa venue au monde. Il y a là une belle promesse.

Dès les premières scènes, quelque chose nous empêche toutefois d’embarquer pleinement. Les comédiens adoptent un langage ici tout à fait usuel et quotidien, là au contraire travaillé, très écrit. Ces ruptures inattendue­s rendent l’adhésion difficile, certaines tirades plus lyriques paraîtront plaquées, on en viendra à interroger la large présence des passages poétiques.

Bien sûr, il y a de la place pour toute cette poésie, certains segments l’incorporen­t d’ailleurs bien. La rupture, cependant, est alors plus claire : d’un simple jeu de lumière ou d’un isolement du comédien, on laisse de côté le récit, ménageant du même coup un espace pour les images du texte, pour ses formules brillantes. Le plus souvent, on peine pourtant à descendre pleinement dans l’histoire. L’inconfort devant certains comédiens aux prises avec des rôles visiblemen­t accessoire­s sera un symptôme de cette dynamique des scènes qui peine à s’imposer.

Une suite à peaufiner

Tous les ingrédient­s sont là, pourtant. À commencer par l’indéniable richesse du matériel: des histoires plus grandes que nature, au potentiel touchant énorme. S’ajoute à cela la compositio­n habile, qui rassemble ces vécus autour d’un même point focal et dirige vers une finale fort belle. On retrouve la fascinatio­n d’Anne-Marie Olivier pour le territoire, aussi, le travail évocateur de Véronique Côté à la mise en scène ; des qualités qui se perdent faute d’une assise suffisamme­nt convaincan­te dans le rendu du récit. Il en va de même pour l’humour qui, bien dispersé, vient pourtant souvent comme un pansement.

Tout se passe comme si la place requise n’avait pas été faite aux actions. La ligne poétique, en somme, se surimpose aux actions, éloignant le récit qui était pourtant une nécessaire courroie à cette beauté qu’on pressent. L’ensemble nous laisse avec une impression d’inachevé: une riche matière est là, qui semble n’avoir pas trouvé sa forme.

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