Et la relation France-Québec ?
L’inconnue Macron, l’impasse Le Pen
Si les politiciens du Québec n’ont pas tous été explicites pour leur préférence dans la présidentielle française, un quasi-consensus se dégage: Emmanuel Macron est favori et Marine Le Pen, infréquentable. Mais en cas de victoire — fort probable — du favori québécois, la classe politique de la rive gauche de l’Atlantique devra bâtir des ponts avec celui pour qui le Québec est une terra incognita.
On ne peut pas dire que l’ensemble de la classe politique québécoise est emballé à l’idée d’un président Macron. En point de presse cette semaine, le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, a déclaré que «ce serait à regret qu’[il] voterai[t] pour Emmanuel Macron, qui représente la mondialisation débridée, le refus de la reconnaissance d’une réelle culture française, un genre de multiculturalisme à la Trudeau ». Mais que tout «embêté» qu’il fût pour les Français, Macron « serait [sa] préférence », car plusieurs des idées de Marine Le Pen ne lui sont «pas acceptables».
Le co-porte-parole de Québec solidaire, Amir Khadir, est allé dans le même sens, quoique un peu plus loin, en appelant à voter blanc ou, en se pinçant le nez, pour Macron.
Tout comme le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault — qui a dit ne s’identifier ni à Macron ni à Le Pen —, le premier ministre Philippe Couillard a refusé de prendre position.
Mais en affirmant au Devoir que «pour le Québec, l’ouverture des marchés, notamment avec l’AECG [l’accord de libre-échange CanadaEurope], est un important vecteur pour la croissance de nos échanges tout comme la promotion d’une vision inclusive de nos sociétés», le cabinet du premier ministre a laissé peu de doute sur les accointances macroniennes du chef libéral.
Liens absents
Mais, alors que l’Élysée sera occupé pour la première fois sous la Ve République par un président issu ni du Parti socialiste ni de la droite gaulliste, la question des liens personnels entre celui-ci (ou celle-là) et les partis québécois reste presque entière. Car les liens patiemment tissés et entretenus au fil des décennies par le Parti québécois et le Parti libéral, autant avec la gauche que la droite, semblent soudainement inopérants.
Dans le cas d’un président Macron, c’est donc «un gros point d’interrogation », affirme Stéphane Paquin, professeur de science politique à l’ENAP. «Quels sont ses réseaux québécois? demande-t-il. La seule personne à qui je pense est Roland Lescure [l’ancien numéro deux de la Caisse de dépôt et placement, qui milite pour En marche !]. Et comme il l’a dit luimême, il n’a jamais rencontré le candidat. Sera-t-il dans les hautes sphères sous un président Macron? À voir.»
Selon toute vraisemblance, l’exministre de Hollande n’a jamais mis les pieds en sol québécois. À Paris, on a pu le voir aux côtés du premier ministre Philippe Couillard en mars 2015, alors que les deux hommes annonçaient une série d’investissements. À cette occasion, M. Macron avait alors déclaré que les ententes signées lors de cette visite témoignaient « des avancées concrètes de la relation économique franco-québécoise au-delà de l’évidence culturelle, qui en est le socle et le ciment ».
Aucune visite au Québec
Mais quelles sont les positions de l’éventuel président sur le Québec? Là aussi, «c’est un gros point d’interrogation», lance au Devoir Louise Beaudoin, ancienne ministre du Parti québécois impliquée de longue date dans les relations France-Québec. Le fait qu’on ne lui connaisse aucune visite en terre québécoise signale déjà «qu’il n’a pas affiché un grand intérêt, dit-elle. Et quand on observe ce qu’il représente, on se dit que, sans être dans le post-nationalisme à la Justin Trudeau, il est davantage dans cette mouvance que dans l’enracinement des petites nations. C’est l’homme des grands ensembles. Je crois qu’il n’a aucun atome crochu avec la mouvance nationaliste québécoise.»
Dans ce contexte de liens ténus, des personnes proches du Parti québécois qui étaient entrées en contact avec les socialistes et les républicains lors des primaires ont redoublé d’ardeur, ces dernières semaines, pour tisser des liens avec la campagne d’En marche! «C’est inédit», confie l’un d’eux, Christophe Fortier-Guay, conseiller de Jean-François Lisée lorsque ce dernier était ministre des Relations internationales. «Il y a dans En marche! un élément de génération spontanée, ce qui fait que ce parti n’est pas encore organisé comme le sont traditionnellement les formations politiques françaises. Il y a là une toute nouvelle garde de jeunes politiciens qui ne connaissent pas le Québec, qui ne sont pas dans le circuit traditionnel [des relations France-Québec]. Il faut s’ajuster à cette nouvelle dynamique.»
Il existerait toutefois de rares éléments dans la galaxie Macron qui entretiennent des liens étroits avec le Québec. On cite notamment le maire de Lyon, Gérard Collomb, l’un des soutiens politiques de la première heure du candidat d’En marche !. On lui prédit un poste important, et ses liens avec le Québec sont connus. Il a d’ailleurs reçu l’Ordre national du Québec des mains de Philippe Couillard en mars 2015.
Liens inexistants
Avec le Front national, les liens sont pratiquement inexistants, et la volonté d’en tisser l’est tout autant. Rappelons qu’aucun leader de parti au Québec n’avait voulu la rencontrer lors de sa visite en terre québécoise en mars 2016, et rien n’indique que l’humeur ait changé. Se rapprocher du FN, c’est se confiner à la marginalité au Québec et au Canada, note Stéphane Paquin.
«Nous n’avons aucun contact avec le FN et nous ne chercherons jamais à en avoir, indique d’ailleurs M. Fortier-Guay. Dans le scénario où [Marine Le Pen] gagne — et je signale que ce scénario n’est pas envisagé —, les liens seraient coupés avec l’Élysée. Il n’y a pas de dialogue possible avec le FN. Et je ne vois ni Couillard ni Trudeau tenter l’aventure. »
Les législatives
Mais peu importe qui occupera l’Élysée, beaucoup se jouera non pas ce dimanche, mais au moment des législatives à la mi-juin. Aucun des deux partis — et encore moins le FN — n’est assuré d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. Le président Macron — ou la présidente Le Pen — risque alors de devoir vivre avec un gouvernement issu d’un autre parti que le sien. Ce sera alors un régime de cohabitation ou de coalition, plus ou moins fragile.
Parmi les scénarios possibles, le gouvernement — et la conduite de la politique étrangère — pourrait être confié à une majorité des Républicains. Un cas de figure qui serait alors «plus connu pour le Québec», signale M. Fortier-Guay.
À suivre, donc, les 11 et 18 juin…