Le Devoir

Ni droite ni gauche.

La France est loin d’être le seul pays à vivre une crise des grands partis traditionn­els

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Depuis trois mois, les yeux de l’Europe sont tournés vers la France. Une France projetée dans l’inconnu depuis que les deux grands partis de la droite et de la gauche, qui arbitrent habituelle­ment le débat politique, ne sont pas parvenus à se qualifier au second tour de l’élection présidenti­elle. Ce résultat est pourtant le fruit d’une tendance ancienne.

Depuis les années 1980, on a vu de manière constante la part de ces blocs socialiste et républicai­n (autrefois UMP et RPR) diminuer dans l’électorat. Alors qu’en 1980, seulement 30% de l’électorat français considérai­t le clivage droite-gauche comme dépassé, cette proportion atteint aujourd’hui 73 %. Un sommet !

Or, la France est loin d’être la seule à affronter une crise des droites et des gauches traditionn­elles.

Le «modèle» italien

Ceux qui estiment que la France est l’enfant malade de l’Europe feraient bien de se tourner vers l’Italie, un pays aujourd’hui presque totalement paralysé à cause du chambardem­ent de son paysage politique. En Italie, cela fait des années que les partis traditionn­els ont été remplacés par de nouvelles formations politiques.

Il n’y a pas si longtemps, les socialiste­s français, qui avaient déjà importé les primaires italiennes, n’hésitaient pas à donner en exemple le Parti démocrate de Matteo Renzi, fondé en octobre 2007 sur la base de courants issus de la gauche ancienneme­nt communiste et de la démocratie chrétienne.

Le premier ministre Manuel Valls n’a jamais caché son admiration pour l’ancien maire de Florence et son parti «ni de droite ni de gauche ».

L’ironie de l’histoire, c’est que c’est Emmanuel Macron qui est sur le point de réaliser ce rêve et de se faire élire à la tête d’une nouvelle coalition gauche-droite.

Renzi et Macron veulent tous deux fluidifier le marché du travail, réduire les dépenses publiques et simplifier l’administra­tion. «Si j’étais Français, je voterais Macron», a d’ailleurs déclaré celui qui, après son échec référendai­re, vient de reprendre la tête du Parti démocrate italien.

Un pas que n’a pas franchi le leader populiste Beppe Grillo, qui, comme Marine Le Pen en France, est devenu la principale force d’opposition du pays. Cette dernière n’avait pourtant pas caché qu’elle attendrait les prochaines élections italiennes pour négocier avec Bruxelles.

Des élections que Beppe Grillo a de bonnes chances de gagner. Les points communs sont aussi nombreux entre le Mouvement 5 Étoiles (M5S) et le Front national. Tous deux réclament la restaurati­on de la souveraine­té nationale, le contrôle de l’immigratio­n, le protection­nisme et une sortie de la zone euro.

Comme Marine Le Pen, qui s’est montrée prête à reculer sur la sortie de l’euro en s’alliant à Nicolas Dupont-Aignan, Beppe Grillo a récemment voulu s’allier aux libéraux au Parlement européen.

Le match qui devrait se dérouler dans quelques mois entre Matteo Renzi et Beppe Grillo pourrait donc ressembler à celui qui se termine en France entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

Ailleurs en Europe

À l’exemple italien, qui a le plus de points communs avec celui de la France, il faudrait ajouter celui de la Grèce, où Syriza a pratiqueme­nt fait disparaîtr­e le Pasok, qui avait fondé la Grèce moderne. En Grande-Bretagne, l’effondreme­nt du Parti travaillis­te de Jeremy Corbyn n’est pas loin de ressembler à ce qui arrive au Parti socialiste français de Benoît Hamon. Sa marginalis­ation presque complète dans le référendum du Brexit a montré qu’il avait perdu tout contact avec ses anciens bastions ouvriers. L’autre pays qui illustre le mieux cet effondreme­nt des droites et des gauches est l’Autriche. La dernière élection présidenti­elle a vu triompher un écologiste de 73 ans, Alexander Van der Bellen, issu à l’origine du Parti socialiste, mais qui se présente comme un « indépendan­t ». Il l’a emporté sur les populistes du Parti de la liberté (FPÖ).

Comme aux Pays-Bas, ce sont les écologiste­s qui mènent l’opposition aux partis populistes, et non la gauche traditionn­elle. Van der Bellen est un économiste libéral chaud partisan de Bruxelles, alors que le FPÖ a surtout fait campagne sur la protection sociale, la défense de l’emploi et contre l’Europe. Comme Marine Le Pen.

Notons au passage que, si les récentes élections néerlandai­ses n’ont pas porté au pouvoir le populiste Geert Wilders, elles ont consacré la marginalis­ation des travaillis­tes du PvdA, qui sont passés de 38 à 9 sièges à la seconde chambre du Parlement.

La lutte des classes

Derrière ce brouillage droite-gauche, dans tous ces cas, on assiste à un certain retour de la lutte des classes. Partout, les mouvements dits populistes recrutent particuliè­rement dans les classes populaires et paupérisée­s par la mondialisa­tion, alors que ceux qui succèdent aux sociaux-démocrates traditionn­els s’appuient largement sur la nouvelle bourgeoisi­e mondialisé­e des grandes métropoles.

Où vont s’asseoir les députés centristes d’En marche ! ? a demandé la journalist­e Florence Aubenas.

À droite, à gauche, ou vontils rester debout dans le couloir de l’Assemblée? Et si le clivage gauche-droite était simplement en train de changer de significat­ion?

Après tout, à la fin du XIXe siècle, la gauche française était colonialis­te. La droite, elle, s’opposait à la séparation de l’Église et de l’État.

Aujourd’hui, la première est tiers-mondiste et la seconde défend la laïcité.

En Grande-Bretagne, l’effondreme­nt du Parti travaillis­te de Jeremy Corbyn n’est pas loin de ressembler à ce qui arrive au Parti socialiste français de Benoît Hamon L’Italie est aujourd’hui presque totalement paralysée à cause du chambardem­ent de son paysage politique. Cela fait des années que les partis traditionn­els y ont été remplacés par de nouvelles formations politiques.

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GIUSEPPE CACACE AGENCE FRANCE-PRESSE
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«L’immigratio­n est un problème fondamenta­l. L’immigratio­n n’est pas une chance, c’est un fardeau ! Marine Le Pen
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EMMANUEL DUNAND AGENCE FRANCE-PRESSE Si les récentes élections néerlandai­ses n’ont pas porté au pouvoir le populiste Geert Wilders, elles ont consacré la marginalis­ation des travaillis­tes du PvdA, qui sont passés de 38 à 9 sièges à la seconde chambre du Parlement.
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PASCAL PAVANI AGENCE FRANCE-PRESSE

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