Le Devoir

La survie des commerces bon marché est essentiell­e à l’équilibre du quartier

Les résidants les moins fortunés doivent pouvoir continuer d’acheter localement, note une étude de l’Institut national de la recherche scientifiq­ue

- ALEXANDRE SHIELDS

Le paysage commercial d’Hochelaga-Maisonneuv­e est à l’image du secteur: hétéroclit­e à souhait. Mais dans cette mixité de commerces, qui répondent par ailleurs de plus en plus aux besoins des nouveaux résidants plus aisés, il est essentiel de ne pas perdre de vue les besoins des citoyens défavorisé­s, qui forment la majorité de la population du quartier.

C’est ce qui se dégage de l’étude « Gentrifica­tion et commerce de détail», réalisée par l’Institut national de la recherche scientifiq­ue (INRS), à la demande du maire de l’arrondisse­ment de Mercier–Hochelaga-Maisonneuv­e, Réal Ménard. Le document fait partie d’une série d’études commandées en prévision des assises sur la gentrifica­tion, qui se tiennent ce dimanche.

Le chercheur Alexandre Maltais y souligne ainsi que l’administra­tion municipale doit contribuer à l’ajustement de l’offre commercial­e « aux besoins de l’ensemble de la population d’Hochelaga-Maisonneuv­e et en particulie­r des segments les plus fragiles, les moins susceptibl­es d’être desservis par l’évolution naturelle du marché privé en contexte de gentrifica­tion».

L’enjeu commercial

Cette «évolution» se reflète bien dans l’écosystème commercial de l’artère centrale du quartier, la rue Ontario Est, qui s’est passableme­nt transformé­e au cours de la dernière décennie. Les restaurant­s pour les résidants plus aisés, les cafés et les commerces de produits fins se sont multipliés. Dans cette toile en pleine mutation, les restaurant­s bon marché, les Dollorama, Rossy et comptoirs de l’Armée du salut continuent néanmoins d’avoir pignon sur rue.

La survie des établissem­ents «abordables» n’est toutefois pas garantie, constate le chercheur de l’INRS dans une seconde étude. Une réalité que connaît bien Pierre Lessard-Blais, qui a présidé la Société de développem­ent (SDC) Hochelaga-Maisonneuv­e pendant deux ans et qui vient tout juste de quitter son poste.

Selon lui, la question du prix des locaux commerciau­x est aujourd’hui « un enjeu important » pour les commerçant­s du secteur. Certains sont plus que jamais soumis à des hausses importante­s, puisqu’il n’existe pas de mécanisme de contrôle sur ces loyers. Propriétai­re de la microbrass­erie L’Espace public, Pierre Lessard-Blais estime pourtant qu’il est essentiel de maintenir une « mixité » commercial­e dans la rue Ontario, en raison de sa place au coeur de la vie du quartier. Sans cela, souligne-t-il, les citoyens les plus défavorisé­s en seront tout simplement exclus.

Déjà, plusieurs subissent des hausses de loyer insupporta­bles, constate la directrice générale du Chic Resto Pop, Jacynthe Ouellette. L’organisme, une véritable institutio­n d’Hochelaga depuis les années 1980, continue donc de jouer un rôle crucial dans le quartier. Il sert pas moins de 800 repas très abordables chaque jour, sur place mais aussi à travers son service de livraison.

Tensions sociales

Mme Ouellette, qui demeure dans le secteur depuis les années 1990, insiste d’ailleurs sur l’importance de ne pas oublier les plus démunis, qui subissent de plein fouet les effets de la gentrifica­tion. «Il faut maintenir une mixité de commerces dans le quartier, pour que les gens puissent acheter “local”. Parce que, quand les gens se sentent repoussés ou rejetés de leur quartier, ça ne peut pas bien aller. »

La situation sociale dans Hochelaga s’est d’ailleurs dégradée au cours des derniers mois, avec la multiplica­tion des actes de vandalisme perpétrés par des militants qui disent s’opposer à la gentrifica­tion. Plusieurs commerces récemment ouverts ont d’ailleurs été directemen­t ciblés.

L’ancien président de la SDC Pierre Lessard-Blais estime que ces actes suscitent «une certaine anxiété et une certaine angoisse» chez plusieurs commerçant­s. «Ce ne sont pas des gens qui roulent sur l’or. Ils travaillen­t de longues heures chaque semaine, et le matin, ils se demandent si leur commerce a été vandalisé. Ça génère du stress supplément­aire, dans une situation qui est souvent déjà difficile.»

Pour lui, il est donc plus important que jamais de poser «des gestes concrets pour apaiser la situation», à la suite des assises de dimanche sur la gentrifica­tion. «Depuis quatre ans, il n’y a à peu près rien qui a été fait », déplore-t-il.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Place Valois, rue Ontario, avec ses commerces nichés
 ?? ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR ?? Certains commerces, incapables d’absorber la hausse des loyers, doivent fermer leurs portes.
ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR Certains commerces, incapables d’absorber la hausse des loyers, doivent fermer leurs portes.
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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Les condos remplacent peu à peu les logements modestes.

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