Les Chinois de Montréal, quatrième vague
Entre deux dégustations de thé que le patron de l’Oasis s’en va chercher directement en Chine plusieurs fois par an, trois membres de la communauté chinoise ont parlé à bâtons rompus de leur histoire et de leur vie à Montréal.
C’ est un scénario digne des plus belles comédies romantiques hollywoodiennes. Une relation épistolaire de plus d’un millier de lettres entre la Thaïlande et Hong Kong, où ils avaient l’un et l’autre trouvé refuge après avoir fui la Chine communiste d’abord, la dictature cambodgienne de Pol Pot ensuite. « Mon père a ensuite quitté les camps de réfugiés thaïlandais pour Montréal, explique Selena Lu, jeune avocate dans la fin de la trentaine. Montréal, tout simplement parce que la file était moins longue que pour Toronto. Il a ensuite demandé la main de ma mère à ma grand-mère, et il est allé la chercher à Hong Kong.» C’était au milieu des années 1970. Les parents de Selena Lu font partie de la deuxième vague de migration chinoise, qui en compte quatre. La première, celle qui débute à la fin du XIXe siècle, est intimement liée à la construction du chemin de fer, et démarre généralement dans l’Ouest canadien. C’est le cas de la famille de Janet Lumb. La compositrice et militante sociale est née à Toronto, où sa mère est venue pour aider à tenir un dépanneur. En 1984, Janet débarque à Montréal, attirée par l’esprit post-Révolution tranquille qui y règne alors. La famille de Martin Wong, elle, s’est installée à Montréal dans les années 1920, à l’intérieur du Quartier chinois. Son père et sa mère ont grandi, l’un en face de l’autre, de part et d’autre de la rue de la Gauchetière. Plus tard, son père a participé à la fondation des Jardins de Chine du Jardin botanique. « Jusqu’en 1995, il n’y avait vraiment pas d’interactions avec les Québécois, raconte celui qui est aujourd’hui à la tête de la Société des Jardins de Chine. Les Chinois allaient aux vues ensemble, ils travaillaient dans les buanderies ou les restaurants appartenant aux membres de la communauté, les femmes cousaient ensemble, on utilisait les services sociaux et médicaux communautaires. Les Québécois étaient assez fermés et nous n’avons pas fait beaucoup d’efforts d’intégration. Plusieurs générations ont vécu ici sans jamais apprendre la langue. » 1995, c’est le début de la troisième vague de migrants. La rétrocession de Hong Kong à la Chine est prévue pour le 1er juillet 1997, et ceux qui redoutent l’emprise communiste décident de quitter l’île. Il s’agit de familles aisées, qui ne s’installent pas dans le Quartier chinois, mais plutôt dans les villas luxueuses de Westmount. C’est le cas aussi des derniers arrivants, ceux de la quatrième vague. De riches hommes d’affaires en provenance de la Chine continentale, qui arrivent en général grâce au programme d’immigrant investisseur, un programme qui exige de posséder 1,6 million de dollars et de s’engager à en investir 800 000 au Québec. «Le regard porté sur la communauté chinoise a changé, indique Selena Lu. Le fait que nous soyons des investisseurs change la donne. Je le vois en tant qu’avocate. Nous sommes 64 avocats d’origine chinoise sur 25 000 inscrits au Barreau. Je peux vous dire que notre expertise est recherchée! » Cette nouvelle vague de migrants choisit Montréal pour sa qualité de vie, le prix de l’immobilier, qui leur paraît dérisoire comparé à celui de Hong Kong ou de Shanghai, et l’éducation qu’ils pourront donner à leurs enfants. « Ils sont cependant très différents des membres des deux premières vagues de migrants, souligne
Janet Lumb. Par leurs fortunes, mais pas seulement. Ceux qui sont arrivés dans le courant du XXe siècle ont souvent préservé les traditions ancestrales de la Chine. Ce n’est pas le cas de ceux depuis qui plusieurs arrivent décennies aujourd’hui,et qui qui ont viventvu la en Chine ville continentalederrière elle une évoluer, partie se de moderniserses traditions.et » laisser Tous trois avouent d’ailleurs perpétuer certaines traditions, mais uniquement dans le cadre familial et amical. Sauf lorsque vient le temps du Nouvel An chinois.
« Ça peut durer trois mois! raconte Mme Lu, qui fut un temps à la tête de l’Association des jeunes professionnels chinois et asiatiques. Tous les soirs, il y a telle ou telle association qui le célèbre et il faut se montrer. Tout le monde s’y met, au-delà même de la communauté chinoise. Tous les moyens sont bons pour courtiser les Chinois. » Jusqu’à un certain point, modère cependant l’artiste de la bande. Oui, lorsqu’il s’agit de collecter des fonds, on vient chercher la communauté, admet Janet Lumb. Les Québécois sont en général curieux, accueillants également. Mais, selon elle, cela ne se traduit pas assez vite en diversité dans les conseils d’administration ou parmi les décideurs. « La peur de perdre l’identité québécoise persiste, assure-t-elle. Ça ferme certaines portes.» Pour combien de temps? Selena Lu croit en un véritable métissage dès la prochaine génération. Elle qui voyage beaucoup raconte que, lorsqu’elle dit venir de Montréal, c’est par des sourires que cette information est reçue. «Notre ville est très bien perçue, conclut-elle. Sa diversité est une force, et je suis certaine qu’elle va prendre son envol. Je le vois dans les cours d’école, toutes les origines se côtoient. Parmi mes amies, nous sommes une majorité à former un couple mixte. Montréal embrasse les cultures pour garder ce qu’il y a de meilleur en elles. » La semaine prochaine: la communauté de l’Asie du Sud-Est