Le Devoir

Michel David

Robert Lafrenière, le vieux singe

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

On n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace, et Robert Lafrenière en est un. Jeudi, il en était à sa douzième comparutio­n devant une commission parlementa­ire, dont neuf en six ans à titre de grand patron de l’UPAC. De son propre aveu, il est devenu une sorte d’expert en la matière. Il sait parfaiteme­nt ce qu’il faut dire et ne pas dire. Ce n’était ni le moment ni le lieu des grandes révélation­s, mais l’habileté de son témoignage avait de quoi impression­ner.

Aussi longtemps que le choix du commissair­e de l’UPAC et du directeur de la SQ sera à la discrétion du gouverneme­nt, sans l’approbatio­n des deux tiers de l’Assemblée nationale, il s’en trouvera toujours pour douter de leur indépendan­ce. Une méfiance que l’habitude des allers-retours entre la police et le ministère de la Sécurité publique n’est pas de nature à atténuer.

M. Lafrenière n’en avait pas moins des airs d’Eliot Ness durant son interrogat­oire. À l’entendre, rien, ni personne, ne pourrait l’empêcher de passer les menottes à tous ces mécréants. «Il n’y a jamais eu de tentative de m’influencer en six ans. Celui qui essaierait, ce serait catastroph­ique pour lui, tout se sait.» À bon entendeur, salut!

Même les députés de l’opposition, qui l’attendaien­t de pied ferme, ont paru rassurés par sa volonté de mener à terme l’enquête Mâchurer, qui vise Jean Charest et son collecteur de fonds, Marc Bibeau, et de transmettr­e le dossier à la Direction des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP), peu importe les conséquenc­es politiques. Autrement dit, s’il n’y a pas d’accusation­s, ce n’est pas lui qu’il faudra blâmer.

Les explicatio­ns qu’il a données pour justifier la lenteur de l’enquête étaient très convaincan­tes. Tout le monde comprendra que des gens menacés d’être traduits devant les tribunaux vont utiliser tous les moyens légaux possibles pour faire traîner les choses. Bref, un remarquabl­e plaidoyer.

On peut facilement comprendre la frustratio­n des libéraux, qui assistent impuissant­s à l’étalage de leur turpitude

Le déplaisir que lui ont causé les fuites dont les médias de Québecor ont bénéficié était tout aussi manifeste, comme sa déterminat­ion à mettre la main au collet du « bandit » qui en est à l’origine. À aucun moment il n’a cependant mis en doute l’authentici­té des courriels et autres documents qui ont été publiés.

Contrairem­ent à Pierre Moreau, M. Lafrenière s’est bien gardé d’adresser le moindre blâme aux médias. Il ne voudra jamais admettre que ces fuites ont pu avoir un effet positif, mais il peut maintenant avoir l’assurance que personne au gouverneme­nt n’osera lui suggérer de modérer ses ardeurs.

On peut facilement comprendre la frustratio­n des libéraux, qui assistent impuissant­s à l’étalage de leur turpitude, mais le procès d’intention que le président du Conseil du trésor a intenté à Pierre Karl Péladeau ne peut qu’être contre-productif. Soit, M. Péladeau aurait pu avoir la satisfacti­on plus discrète, mais tout le monde se souvient que, n’eussent été les enquêtes journalist­iques, le gouverneme­nt Charest n’aurait jamais accepté de créer la commission Charbonnea­u. M. Moreau a peut-être marqué des points au sein de son caucus, mais donner l’impression de vouloir intimider la presse était la dernière chose à faire.

La bonne nouvelle pour les libéraux est que les allégation­s du président de la Fraternité des policiers de Montréal, Yves Francoeur, semblent se dégonfler. Le commissair­e de l’UPAC et le directeur de la SQ, Martin Prudhomme, ont été aussi catégoriqu­es que la DPCP l’avait été la semaine dernière : ils n’ont pas trouvé la moindre trace de ces écoutes électroniq­ues dont deux élus libéraux soupçonnés d’avoir favorisé un promoteur immobilier lié à la mafia auraient fait l’objet.

D’éventuelle­s poursuites contre Jean Charest causeraien­t évidemment un tort considérab­le à l’image du PLQ, mais M. Couillard pourrait encore plaider que cela appartient au passé, si détestable qu’il ait pu être. Les choses se compliquer­aient si un député qui siège actuelleme­nt à l’Assemblée nationale, voire au Conseil des ministres, était épinglé. Les manigances de Sam Hamad et de MarcYvan Côté pour favoriser Premier Tech remontaien­t aussi à l’ère Charest, mais M. Couillard a quand même jugé nécessaire de sacrifier M. Hamad sur l’autel de l’intégrité.

Le premier ministre disait récemment qu’il croyait avoir fait des adieux définitifs à la politique quand il a quitté le cabinet Charest en 2008. À l’époque, il n’était pas disposé à vivre le long purgatoire qui aurait normalemen­t dû suivre la défaite de 2012, comme cela avait été le cas après celles de 1976 et de 1994. Il a repris du service quand il s’est rendu compte que la marque libérale avait été moins amochée qu’il l’avait craint au départ. Il y avait néanmoins un prix à payer pour ce raccourci vers le pouvoir, celui de devoir assumer le poids d’un passé trop récent. Un prix qui ressemble quand même à une aubaine.

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