Le Devoir

Décrets de Donald Trump : réel impact ou écran de fumée ?

- ESTELLE PATTÉE

Depuis son intronisat­ion le 20 janvier, le dirigeant américain a signé une trentaine d’« executive orders ». Le but: montrer à ses électeurs qu’il tient ses promesses de campagne.

Pour la «Journée nationale de la prière » aux États-Unis, Donald Trump a décidé de marquer le coup. Jeudi, à la Maison-Blanche, en présence de leaders des différente­s confession­s, il a signé un décret sur la liberté religieuse, permettant aux groupes de mieux s’impliquer dans la vie politique. C’est le 33e « executive order » depuis son investitur­e le 20 janvier. Des décisions qui revêtent, jusqu’à présent, essentiell­ement une portée symbolique.

Quel est l’impact réel des décrets signés par Trump?

«Il n’y a pas de grandes décisions majeures qui sont sorties des décrets, affirme Marie-Cécile Naves, sociologue associée à l’Institut des relations internatio­nales et stratégiqu­es. Les seuls décrets qui ont un impact assez fort touchent à l’environnem­ent ou aux droits des femmes. »

Donald Trump a ainsi relancé par décrets le projet controvers­é du pipeline Keystone XL et a prévu le démantèlem­ent du Clean Power Plan d’Obama, qui imposait aux centrales électrique­s de réduire d’ici 2030 leurs émissions de CO2 de 32% par rapport au niveau de 2005. Au total, sur 33 décrets signés par le président, 8 s’attaquent à l’héritage environnem­ental de Barack Obama. La raison est simple. « Dans les dernières années de son mandat, Obama n’avait pas de majorité au Congrès et a donc fait passer un certain nombre de décisions par décrets sur ces sujets.» Problème: un décret peut être annulé par… un autre décret, ce qu’a bien compris Donald Trump. «Les décrets sont aussi une manière de marquer le début d’une présidence, d’afficher sa volonté de construire un programme et d’aller dans telle direction», décrit Marie-Cécile Naves. Le 22 janvier 2009, dès son entrée en fonction, Barack Obama avait signé un décret qui prévoyait la fermeture de Guantánamo en 2010, pour rompre avec la présidence de George W. Bush. Une promesse restée sans effet.

Trump fait-il une utilisatio­n abusive des décrets?

Gouverner par décrets n’a rien de nouveau. Tous les présidents américains ont utilisé cette dispositio­n, de façon plus ou moins systématiq­ue. Barack Obama en a signé 277, George W. Bush, 291, et Bill Clinton, 364. La palme revient à Franklin D. Roosevelt (19331945), qui a signé à lui seul 3721 décrets sur une période de douze ans, soit une moyenne de 307 décrets par an. Néanmoins, si Donald Trump continue à ce rythme, il pourrait signer en moyenne une centaine de décrets par an, soit le triple de son prédécesse­ur, selon The Americain Presidency Project, qui recense le nombre de décrets signés par chaque président depuis George Washington.

Quel est l’intérêt pour Trump de gouverner par décrets?

Non inscrits dans la Constituti­on, les décrets présidenti­els permettent d’accélérer la prise de décision sans passer par le Congrès, qui détient le pouvoir législatif. Mais les obstacles judiciaire­s sont nombreux. À l’image du «Muslim Ban» de Trump, aussitôt suspendu par un juge fédéral. «Même si le pouvoir décisionne­l par décret est faible, ce que fait Trump a une forte portée symbolique, estime Marie-Cécile Naves. Il envoie des signaux aux agences gouverneme­ntales, aux États fédérés et à la société civile sur son programme et sa volonté. Et ce, même si ses décrets

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Même si le pouvoir décisionne­l par décret est faible, ce que fait » Donald Trump a une forte portée symbolique La sociologue Marie-Cécile Naves

échouent, comme ceux sur l’immigratio­n. Ils créent une dynamique et participen­t petit à petit à la constructi­on du programme, en particulie­r au niveau local. Les États fédérés conservate­urs sont très largement encouragés à faire voter des lois, par exemple, pour restreindr­e encore plus l’accès à l’avortement ou réduire les subvention­s locales aux associatio­ns écologique­s. »

La mise en scène autour de la signature des décrets, immortalis­ée par les photograph­es et les caméras, a elle aussi une portée symbolique. «Très souvent, quand Trump signe des décrets, y compris sur les droits des femmes, il est entouré d’hommes blancs, poursuit la sociologue. C’est très important dans le signal que Trump envoie au peuple américain: “Mon Amérique à moi, c’est une Amérique patriarcal­e, blanche, nostalgiqu­e.”»

Seul risque pour le président : finir par se mettre le Congrès à dos. «À force de gouverner par décrets, de critiquer Washington et les parlementa­ires eux-mêmes, Trump n’est pas du tout en train de créer une relation de confiance avec les parlementa­ires républicai­ns, qui sont loin de former un bloc uni», explique MarieCécil­e Naves.

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MANDEL NGAN AGENCE FRANCE-PRESSE Le président Trump présentant le décret sur la liberté religieuse qu’il vient de signer, jeudi dernier

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