Ça saigne, ça crie, ça s’aime
La Rencontre Théâtre Ados secoue les conventions. Retour sur deux créations.
JUSQU’AU SANG OU PRESQUE Texte: Annie Ranger. Mise en scène: Marilyn Perreault. Une production du Théâtre I.N.K. ET SI ROMÉO ET JULIETTE… Idéation et mise en scène: Jackie Gosselin. Une production de Dynam0 Théâtre.
Il y a d’abord Jusqu’au sang ou presque, signé Annie Ranger du Théâtre I.N.K. et mis en scène par Marilyn Perreault, qui revoit de façon percutante le mythe de la belle-mère. Sur les planches, Mathias (Xavier Malo), 16 ans, se fait narrateur et personnage d’une pièce dont il est le bourreau.
Bourreau mais aussi juge de la belle-mère, celle qui a un «pouvoir d’infiltration dans les familles», «cette espèce de prédatrice qui ne s’attaque qu’aux enfants dont les parents ne s’aiment plus », cette belle-mère autour de qui il se prépare à monter de beaux petits contes cruels maison. Face à lui, Annie Ranger joue avec force et rage le rôle d’Adèle, la belle-mère, soumise à la menace de cet adolescent qui ne compte pas la laisser filer sans payer pour ses «crimes».
Ponctué de clins d’oeil aux contes traditionnels, le mythe de la belle-mère se mêle avec finesse à la réalité très contemporaine de vivre dans une famille reconstituée. Grâce à l’angle singulier choisi, le texte de Ranger nous happe par la force du propos. Des échanges vifs, des phrases assassines, criantes de vérité, puisées à même les tripes, fusent de part et d’autre comme autant de flèches lancées en plein coeur. Les réactions nombreuses et spontanées des jeunes dans la salle en témoignaient.
La mise en scène de Marilyn Perreault permet d’ailleurs de faire ressortir toute la portée de ce que représentent une famille et l’idée que l’on se fait d’elle. Sur la scène, un lit et plusieurs cadres attachés à des tiges de fer sont tour à tour décrochés, puis utilisés pour servir d’encadrement aux deux personnages. Parfois coincés, mal à l’aise à l’intérieur, parfois soumis aux apparences, comme sur une photographie, les deux personnages s’en servent aussi pour évoquer les échanges houleux. Ajoutons à cela la présence signifiante de la musique qui appuie l’effet dramatique proposé.
À la fin de la représentation, les jeunes, invités à questionner les artistes, ont répondu en grand nombre, notamment une étudiante qui avoue vivre une relation semblable, mais ne pas comprendre comment — contrairement aux deux personnages en fin de spectacle — ça pourrait aller bien entre elle et sa belle-mère. Perreault répondra par le message qui sous-tend la pièce. «Je suis un monstre parce que je suis partie avec le préjugé que tu en étais un. On se base souvent sur des idées préconçues, mais il faut prendre le temps de connaître l’autre, de faire un pas en avant. »
Et si Roméo et Juliette…
Et si le texte du grand William se voyait réduit à sa plus simple expression ne retenant que l’essentiel, soit toute l’énergie dépensée à s’aimer et s’entre-tuer? Et si, au final, on décidait de baisser les armes? C’est ce que propose la metteure en scène Jackie Gosselin du DynamO Théâtre dans une réinterprétation tout en mouvement et en force du célèbre texte.
Une scène pivotante fait office de plateau, sur lequel deux escaliers courbés et sur roues permettront aux quatre comédiens de tout donner à travers cette histoire dramatique et d’offrir aux quelque 300 adolescents présents dans la salle de la Maison des arts de Laval une puissante prestation. Marie Fannie Guay, Marc-André Poliquin, Dominic St-Laurent et Catherine St-Martin se partagent les rôles de Roméo, Juliette, Benvolio et Tybalt, alternant ceux-ci, chacun goûtant à l’émotion, au vécu de l’autre. Toute la puissance de l’amour et de la haine passe non pas par le texte, qui se fait discret, mais bien par les éclairages — oscillant entre le rouge vif et le blanc éclatant —, la musique, le mouvement et surtout les jeux acrobatiques, spécialité du DynamO Théâtre.
La scénographie regorge de détails qui invitent à la réflexion, laisse le spectateur interpréter le sens, découvrir la magie du théâtre. Si l’idéation de cette pièce est singulière et ouverte, les quatre comédiens, acrobates, artistes ont su rendre de façon impeccable et sans faille un jeu à la fois physique et intellectuel avec rigueur et sensibilité. De la grande prestation pour une adaptation visuellement et symboliquement très riche.