L’été au bord de l’Ostsee
En train et en bus dans le nord du pays, sans presque jamais perdre de vue la mer
Chasse à l’ambre sur le rivage, farniente dans une «corbeille» de plage, exploration d’anciens fiefs hanséatiques et trouvailles d’architektur au passage… Comme la Baltique est rafraîchissante!
Une alternance de séjours urbains et balnéaires le long d’un bout de côte de la Baltique, l’Ostsee des Allemands, cela vous dirait? Dans le land rural de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, en ex-RDA, notre itinéraire comprend de super-étapes: Rostock, la péninsule de Fischland-DarßZingst, Stralsund et Binz, dans l’île de Rügen. Il se réalise en une semaine, en train et en bus. Un plus? Il perd rarement la mer de vue!
Bordée par le fleuve Warnow, Rostock est une ancienne ville hanséatique (voir l’encadré «La Hanse en question») riche d’un patrimoine architectural baroque — et soviet mastoc —
qui comprend une université vieille de près de 600 ans.
Dans les parages de la Köpeliner Strasse, venelles et placettes forment un joli labyrinthe où, le soir, on trinque sur les terrasses.
À une demi-heure de train, voilà Warnemünde, un village de pêcheurs où, le midi, on se bouscule au marché de l’Alter Strom pour acheter un sandwich de poisson frit.
Près d’un canal pittoresque, au no 53 de la rue Am Strom, résidait un ménage à trois incluant un Norvégien du nom d’Edvard Munch. Le peintre, qui s’adonnait en plus au nudisme, créa tout un scandale au début de l’autre siècle. S’il s’était établi en bord de mer pour « soigner ses nerfs malades», il fut responsable de nombreuses crises de nerfs chez ses hôtes! La maison de pilote qu’il louait est aujourd’hui un musée qu’on peut visiter.
Cette maison présente par ailleurs une curiosité architecturale propre aux cités balnéaires de cette côte: un porche en saillie de la façade principale. Apparues vers la fin du XIXe siècle avec l’arrivée des premiers vacanciers (mais avant celle des hôtels), ces rallonges servaient à les héberger.
Une autre invention futée du cru est la strandkorb, ou «corbeille de plage», soit un fauteuil, à une place ou à deux places, à auvent, dans lequel on s’installe pour s’abriter du vent. Dispersées au petit bonheur la chance sur la superbe plage de Warnemünde, elles créent des «bouquets» du plus bel effet!
La pierre des sorcières
Entre Rostock et Stralsund, la péninsule de FischlandDarß-Zingst, formée de la réunion des îles du même nom, est un territoire évolutif, façonné par le sable que lui apportent les forts courants de la
Baltique. Longue de 45 kilomètres, elle comprend des localités très différentes les unes des autres. Ses paysages le sont tout autant, conjuguant mer, forêt et bodden, des baies peu profondes, aux eaux saumâtres. Aussi, une grande partie de la péninsule fait partie du parc national du lagon de Poméranie occidentale, un magnifique terrain de jeu.
C’est justement dans ce parc, à Prerow, dans le secteur de Darß, que nous avons rendezvous avec le naturaliste Martin Hagemann pour un avant-midi de promenade sur la plage.
Ensemble, nous allons à la chasse à l’ambre, la Baltique en étant un important gisement. «Ce sont les courants marins qui amènent sur la grève ces pépites de résine millénaire, et depuis toujours tenter d’en trouver est une activité populaire », dit-il.
Armé d’un bout de bois flotté, il nous montre comment touiller la dense « salade » d’algues et de coquillages qui jonche le rivage pour y repérer des fragments d’ambre. « Il y a quelque chose de contemplatif dans cette “chasse”», poursuit-il. C’est vrai… même si ça ne fleure pas toujours l’anémone!
Malheureusement, je ne déniche que l’hühnergott, «la pierre des sorcières». Allez savoir pourquoi, autrefois on utilisait ces morceaux de silex en guise de talismans protecteurs dans les poulaillers. Quoi qu’il en soit, la promenade est vraiment chouette et tonique en ce jour automnal frisquet.
Des villages qui jalonnent la péninsule et qu’on peut explorer en louant un vélo, Ahrenshoop est sans doute le plus joli. L’épaisse toiture de chaume qui coiffe ses maisonnettes évoque l’univers des contes de fées. Ajoute à son charme le fait que, depuis l’arrivée du peintre Paul Müller-Kaempff, fin XIXe siècle, plusieurs des demeures abritent des ateliers d’artistes ouverts au public. Cela lui vaut d’ailleurs de faire partie du réseau euroArt, dont la mission est la préservation des colonies artistiques européennes nées dans la foulée de l’école de Barbizon, mouvement qui allait sortir les chevalets des ateliers et révolutionner la peinture.
«Il y a ici un bon mélange de nature, de mer et de belle lumière qui a attiré des peintres, mais aussi des céramistes, des potiers, des musiciens, des écrivains, Albert Einstein comme Lyonel Feininger [un artiste et professeur au Bauhaus de Gropius] !» dit Hans Götze, maire d’Ahrenshoop et peintre figuratif.
Beauté baroque
En passant de la péninsule à Stralsund, ancien fief hanséatique, on aura l’impression d’avoir reculé dans le temps, et pour cause ! «Stralsund a été fondée en 1234, explique André Kretzschmar, directeur de l’Office du tourisme. Elle a conservé sa trame urbaine médiévale et les maisons, les mêmes fondations. »
Comme à Rostock, l’architecture monumentale de brique, le fameux backsteingotik, est à l’honneur. Mais, contrairement à sa presque voisine, la ville a été épargnée lors de la Seconde Guerre mondiale. On peut donc y visiter d’anciennes maisons de marchands, leurs entrepôts, ainsi que leur église, bref tout un ensemble hanséatique qui a valu à la ville sa désignation au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
C’est d’ailleurs à Stralsund qu’a été signé, en 1370, le traité qui mit fin à la guerre avec le Danemark. C’est une longue histoire, mais disons que le vainqueur ne fut pas le souverain danois, qui voulait imposer aux membres de la Ligue un droit de péage pour traverser l’Oresund, le canal servant de trait d’union entre la Baltique et la mer de Norvège. Telle était la puissance de la ligue hanséatique…
Dernière escale: l’île de Rügen et Binz, l’Ostseebad le plus huppé de cette côte. Semées le long d’une promenade de bord de mer et dans les rues adjacentes, quelque 500 villas construites entre 1870 et 1940, et multipliant les références baroque, néoclassique et jugendstil, donnent au patelin une atmosphère über rétro.
Binz a été fondée par des Slaves païens, contemporains des Vikings. « C’était un peuple de pêcheurs qui vénéraient la mer, mais qui la craignaient aussi, raconte la guide Franziska Boy. Ils ne s’établissaient jamais au bord de la mer. »
Puis, au XIXe siècle, vint la mode des trempettes dans la Baltique. Un prince qui s’était fait construire un pavillon de chasse sur les hauteurs de Binz emmenait ses invités à la mer. Postés sur le rivage, des cabanons de plage en toile, tirés par des chevaux, étaient équipés à l’arrière d’un petit escalier par lequel on descendait, ni vu, ni connu, dans les flots. «Les habitants prenaient les baigneurs pour des fous!» dit la guide.
Les «fous» se firent de plus en plus nombreux. Ils venaient même d’ailleurs. Pour les loger, on construisit des villas en bois, toutes blanches et à balcons ouvrés, caractéristiques de la bäderarchitektur. «Comme elles servaient à loger les touristes et qu’on voulait s’attacher leur clientèle, chaque propriétaire voulait que sa propriété soit plus belle que celle de son voisin!» poursuit Franziska Boy. Et pourquoi donc cette utilisation exclusive de peinture blanche ? Pour faire joli? Eh bien non, c’était simplement la moins chère.
À Binz, on se fait dorer au soleil, on fait du surf et on déguste le traditionnel poisson fumé directement sur la plage. On admire aussi le dernier des anciens pavillons de sauveteurs dessinés par l’architecte Ulrich Müther, natif de Binz. Pour s’activer, on explore les falaises crayeuses du parc national de Jasmund ou on gravit le sentier en forêt qui mène à Granitz, le fameux pavillon de chasse du prince visionnaire. Et on se dit qu’on passerait bien tout l’été au bord de l’Ostsee.