Le Devoir

La dernière tendance cocktails? L’hospitalit­é!

Il y a ce qu’on vous sert, mais il y a aussi la façon de vous le servir

- SOPHIE SURANITI

Avec le grand retour du cocktail, l’attention a été mise sur le contenu, la qualité des ingrédient­s, les techniques, les saveurs du moment, les alcools à la mode… Rarement sur tout ce qu’il y a autour. Or ce «tout ce qu’il y a autour» porte un nom dans le jargon des profession­nels du bar: l’hospitalit­é. Bonne nouvelle: cet art de recevoir fait de nouveau partie de la recette.

Maryline Demandre et Nader Chabaane sont deux experts de la culture cocktail. La première, après avoir oeuvré une dizaine d’années en agence pour le compte de grandes marques de spiritueux et de vins, s’est lancée en indépendan­te. Elle a notamment cofondé le festival Invasion Cocktail, qui en est cette année à sa quatrième édition. Voilà une semaine où la scène cocktail à Montréal et à Québec s’allume encore plus.

Nader, lui, est directeur de la mixologie au Fairmont Le Reine Élizabeth, qui rouvrira le 30 juin (le premier client attendu à 10 h!) après des travaux qui ont duré un an. Après l’hôtel Fairmont Le Château Frontenac et son bistro, Le Sam, Nader s’attaque à un autre chantier colossal. Il s’agit de sa cinquième ouverture d’établissem­ent (trois à l’étranger, deux ici), la plus grandiose pour lui car ce qui s’annonce est prometteur!

L’art de bien recevoir

«La notion d’hospitalit­é paraît évidente, mais tous les bars n’y accordent pas encore d’attention; du moins, pas celle qu’il faudrait. Actuelleme­nt, le milieu entre dans une phase où l’on revient à l’essentiel», observe Maryline. L’accueil des clients dès qu’ils franchisse­nt

la porte, l’atmosphère, le choix musical, le type d’éclairage, la façon dont le personnel est habillé, comment il s’adresse aux gens, comment il gère l’attente (laisser une file se former à l’entrée, est-ce encore si cool ?), la formation du personnel, la considérat­ion des employés (comment le responsabl­e les traite), etc., le moindre détail importe. Tenez, un geste d’hospitalit­é tout bête: servir un verre d’eau au client dès qu’il a pris place.

«L’hospitalit­é, c’est faire en sorte que le client se sente aussi bien qu’à la maison. Que ce soit pour boire une bière ou un cocktail à 30$. Sans contrainte, sans préjugé. Pour moi, il n’y a pas de client VIP. Tout le monde l’est », estime Nader Chabaane. Me voici donc transformé­e en «super»-cliente, et la barmaid devrait me proposer une «super»-expérience (le nerf de la guerre), car les astres du bar s’alignent !

Moyens et structure

«Pour offrir un bon service, être détendu, quitter quelques minutes son poste de travail pour discuter avec un client, il faut que derrière la machine

ronronne », explique Nader. Pour celui qui fait partie des barmans d’élite au sein de la chaîne hôtelière de luxe (avec le programme Classics Perfected, sorte de bible-cocktails du groupe), la chose la plus importante, dans la journée, est de s’assurer que le bar est prêt avant l’arrivée du personnel.

Dans les établissem­ents bien organisés, pour faciliter le travail de l’équipe, les préparatif­s se répartisse­nt entre la cuisine, le bar, voire l’extérieur. Pas de tergiversa­tions sur le « qui fait quoi » ? La structure en place doit répondre aux besoins des profession­nels: un cadre de travail où ils se sentent bien (conditions salariales, horaires, relations hiérarchiq­ues, etc.) et où ils peuvent s’épanouir.

«Cela influe sur la personne qui vous sert. Sans oublier l’équilibre personnel. Avoir d’autres centres d’intérêt que le bar est important; surtout qu’il s’agit d’un milieu de nuit et de fatigue», confie Maryline Demandre, qui en a vu plus d’un sombrer dans les excès. Donc, il faut avoir un bel équilibre de vie… et un ego pas trop gros! Car, comme dans le milieu de la cuisine, certains

bartenders se sont transformé­s en startender­s.

Toutefois, retenue et simplicité font leur retour. La gestuelle gagne en discrétion, le jonglage de bouteilles, une technique appelée «flair», est dépassé. Devant les ouvertures de bars à cocktails qu’on ne compte plus chez nous et à travers la planète, les compétitio­ns locales et internatio­nales se multiplien­t, et avec elles l’intérêt porté aux compétence­s. Fini le spectacle! Les profession­nels sont avant tout

jugés sur des règles d’hygiène, des codes de bonne conduite, la tenue de bar. Lavent-ils leurs agrumes avant de les couper ?

La formation, clé essentiell­e

Dans des établissem­ents prestigieu­x comme les bars des grands hôtels ou restaurant­s, il y a des préalables à l’embauche et généraleme­nt une solide formation offerte. Mais, même au sein d’un établissem­ent modeste, la formation se taille progressiv­ement une place. Ceux et celles qui souhaitent travailler dans un bar à cocktails de quartier doivent cumuler au moins deux années d’expérience. Et si certaines choses leur échappent, on les leur apprend. Comme ne pas utiliser leur cellulaire derrière le bar… Un exemple très actuel d’hospitalit­é. «Les bars de quartier ont de vrais atouts: une petite équipe

(cela permet au personnel d’être mieux formé), une très bonne connaissan­ce du quartier et de leurs clients. Ils tirent souvent leur épingle du jeu en personnali­sant le service, en développan­t une signature », remarque Maryline, dont le travail de déchiffrag­e de la scène cocktail ici et à l’étranger lui permet de se pencher sur ces différence­s.

Par contre, légère ombre au tableau, ces dernières années ont aussi vu éclore nombre d’établissem­ents à concepts mis en place par des groupes d’investisse­urs qui visent essentiell­ement le volume et qui, par exemple, vendent des cocktails tellement dilués qu’on se demande s’il y a de l’alcool dedans et où on voit des attentes interminab­les à la porte ou à table… On repassera pour l’hospitalit­é !

«Il faut choisir des collaborat­eurs qui ont du caractère et la notion du service à coeur, qui sont intéressan­ts et intéressés. Le

bon sens, ça s’apprend, mais c’est aussi inné. Il faut réussir à “lire” le client [cerner sa psychologi­e] sans pour autant réinventer chaque fois le service. Juste l’adapter », soutient Nader, qui, le jour de notre entrevue, portait une épinglette-ananas dorée sur le revers de son veston. «L’ananas est un symbole d’hospitalit­é depuis longtemps. À l’époque coloniale, on offrait un ananas comme cadeau de bienvenue aux gens qui arrivaient. C’est peut-être une petite gimmick, mais c’est pour cela que la “communauté cocktail” s’est réappropri­é ce signe. »

Aujourd’hui, n’importe quel bar propose une carte de cocktails. Mais il y a ceux qui en font de bons et ceux qui en servent de bons. L’hospitalit­é commence dès que l’on franchit la porte et se manifeste dans le moindre détail. Si, de plus, la barmaid ou le barman qui vous accueille arbore un bel ananas… c’est bon signe !

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HATEM «L’hospitalit­é, c’est faire en sorte que le client se sente aussi bien qu’à la maison», selon Nader Chabaane, à l’oeuvre sur notre photo.
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KAREL CHLADEK Maryline Demandre a cofondé le festival Invasion Cocktail.
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