Le Devoir

King Arthur rencontre Cupidon

Bernard Labadie accomplit un vieux rêve en dirigeant cette semaine l’oeuvre de Purcell

- CHRISTOPHE HUSS

Mercredi et jeudi, à Québec, puis samedi à Montréal, Bernard Labadie dirigera l’un des chefs-d’oeuvre de Purcell (1659-1695), King Arthur. La distributi­on affiche, dans le rôle de Cupidon, une très grande vedette internatio­nale, la soprano Anna Prohaska, 33 ans.

Bernard Labadie est fier d’accueillir au Québec la soprano vedette de la Deutsche Grammophon, qu’il a rencontrée pour la première fois en 2011 lorsqu’il faisait ses débuts à l’Orchestre de la Radio bavaroise : «Même si elle chante beaucoup d’opéra de toutes les époques désormais, Anna Prohaska a commencé sa carrière dans la musique baroque. C’est une artiste et une personne extraordin­aire amoureuse de cette musique-là. Elle m’a écrit qu’elle est folle de joie et très enthousias­te de chanter Purcell cette semaine.»

Une action parallèle

Daniel Moody, Andrew Staples et Tyler Duncan seront les autres solistes de la distributi­on, qui donnera évidemment un rôle majeur à La Chapelle de Québec.

Ne reste plus qu’à espérer que le Roi Arthur ne tombe pas malade… En fait, pas vraiment. Le Roi Arthur peut faire ce qui lui chante — si j’ose dire! —, car on ne l’entend pas.

Il n’y a pas de rôle de Roi Arthur dans King Arthur de Purcell! Pourquoi? Parce que cette oeuvre se range dans ce que le musicologu­e Charles Burney (1726-1814) appela, bien après la mort de Purcell, le « semi-opéra ». Si King Arthur, «musique d’une beauté fabuleuse », nous dit Bernard Labadie, n’est pas davantage reconnu, c’est parce que «le genre pose problème».

Le chef explique au Devoir de quoi il en retourne: « Purcell a vécu à une époque où l’opéra français s’était développé, où l’opéra italien se développai­t, mais où les Anglais résistaien­t et mettaient du temps à ouvrir leurs portes à ce genre. L’opéra anglais s’est développé avec Haendel au début du XVIIIe. Avant cela, les Anglais appréciaie­nt le genre bâtard et hybride du semi-opéra, où l’on prenait des pièces de théâtre anciennes d’avant la Restaurati­on [1660] que l’on trafiquait en greffant des intrigues secondaire­s qui faisaient l’objet de créations musicales. Les plus grands chefsd’oeuvre de Purcell, notamment Dioclesian, The Fairy Queen (qui est carrément une adaptation du Songe d’une nuit d’été) et King Arthur sont des oeuvres de ce type, où la partie musicale se concentre sur des textes disjoints qui ont un lien fort ténu avec l’action principale. » D’où la coexistenc­e théâtrale improbable d’Arthur et de Cupidon.

La conséquenc­e est limpide : «La partie musicale au complet met en évidence l’absence de continuité dans l’histoire et le côté anecdotiqu­e du texte. » Ce n’est absolument pas le cas dans Didon et Enée, «un vrai opéra, avec une histoire cohérente du début à la fin». Selon le chef, «si Purcell avait pu continuer dans la veine de Didon et Énée et développer un véritable opéra anglais, il serait considéré comme l’un des plus grands compositeu­rs de l’histoire».

Quant au semi-opéra, «le genre a disparu parce que les amateurs de musique trouvaient qu’il y avait trop de théâtre, et les amateurs de théâtre trouvaient qu’il y avait trop de musique », s’amuse Bernard Labadie. Aujourd’hui, pragmatiqu­ement, si «le Roi Arthur, principal personnage de l’histoire, ne chante pas du tout, les oeuvres ne peuvent guère être réhabilité­es à la scène» de manière crédible. C’est aux yeux du chef la raison pour laquelle la musique est un peu tombée dans l’oubli.

Bach a été mon premier grand amour musical, car ma mère n’écoutait que cela. Purcell a été le premier grand amour musical qui a mené à ma carrière de chef. Bernard Labadie

Un compositeu­r méconnu

«Bach a été mon premier grand amour musical, car ma mère n’écoutait que cela», nous dit Bernard Labadie, mais « Purcell a été le premier grand amour musical qui a mené à ma carrière de chef », en l’occurrence Didon et Énée en février 1983, son premier concert à vie.

«Purcell est exceptionn­el. Il est mort au même âge que Mozart, il a été aussi précoce que Mozart, il a composé une musique très originale, nourrie de vieilles traditions, mais aussi très au fait des derniers progrès de la musique italienne et de la musique française.» Qualité la plus éminente : «Purcell est l’un des rares compositeu­rs, notamment de l’époque baroque, un univers assez formaté et générique, dont on reconnaît la signature après 10 secondes. » Pour Labadie, «cela tient en premier lieu à son langage harmonique».

Ce langage harmonique qui fait aussi la force de King Arthur. « Il est d’une capacité expressive exceptionn­elle et rejoint Schumann et Schubert», souligne le chef, qui ne cesse d’ajouter des compliment­s: «Rendez-vous compte, Purcell utilise l’accord de quinte augmentée. C’est l’accord de Tristan. C’est très rare à l’époque! Et, en plus, il a le génie de la langue anglaise, de la couleur expressive de la langue. Le suivant, après lui, c’est Britten. »

« Il y a des choses, là-dedans, qui me font chavirer», conclutil. La semaine prochaine, nous serons tous dans le même bateau.

KING ARTHUR À Québec. Palais Montcalm. Mercredi 10 mai et jeudi 11 mai à 20 h, 418 692-3026. À Montréal. Maison symphoniqu­e. Samedi 13 mai à 19 h 30, 514 842-2112.

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DEUTSCHE GRAMMOPHON La soprano allemande Anna Prohaska sera, dans le rôle de Cupidon, la vedette de la distributi­on du King Arthur de Purcell dirigé par Bernard Labadie.

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