Masculinité blessée
Le Japon, ce pays toujours aussi familier sous le regard d’Hirokaku Kore-eda
Le cinéaste Hirokazu Koreeda se plaît à décrire les antihéros de la classe moyenne japonaise (Still Walking, Nobody Knows, Like Father, Like Son) empêtrés dans des dilemmes et des angoisses aux résonances universelles. Dans After the Storm, il sait aussi établir la juste manière de présenter un personnage, d’étoffer son profil psychologique, grâce à un stratagème aussi amusant qu’efficace: avant même de faire la connaissance de Shinoda Ryôta (Hiroshi Abe), écrivain raté, père inadéquat et joueur compulsif, sa mère (Kirin Kiki) et sa soeur le dépeignent de manière peu élogieuse lors d’une conservation de cuisine.
Lorsqu’il apparaît à l’écran, son allure indolente et son visage inquiet ne causent aucune surprise. Très endetté, auréolé d’un succès littéraire vieux de 15 ans et depuis lors en panne d’inspiration, il croit que son boulot de détective lui fournira de nouvelles histoires (sa famille était la matière de son premier livre, ce que sa soeur lui reproche). Il doit aussi composer avec son ex-conjointe (Yôko Maki, volontaire sous des airs dociles), réclamant à la fois sa pension alimentaire et un certain sens des responsabilités à l’égard de leur fils, qu’il ne voit qu’une fois par mois.
La menace d’un typhon est parfois évoquée, mais dans ce pays marqué depuis longtemps par les catastrophes, le sujet ne provoque aucune panique. Il s’agit d’un élément parmi d’autres dans cette mosaïque du quotidien, Hirokazu Kore-eda observant avec minutie les rituels de la bouffe, les temps morts de la filature, les confidences matrimoniales, ou la dynamique singulière d’une mère lucide à l’égard de son fils en qui elle ne se reconnaît pas.
Entre maints détours, After the Storm illustre la prise de conscience laborieuse d’un homme fragilisé dans sa masculinité, à qui son entourage renvoie toujours une image désolante, en partie héritée d’un père absent… et joueur compulsif. Il faudra l’arrivée de cette fameuse perturbation atmosphérique pour remettre un peu d’ordre dans ce petit chaos psychologique alors que s’organise un semblant de fraternité familiale, l’occasion rêvée de se rapprocher de gens que cet artiste en panne sèche aime d’un amour maladroit.
Hirokazu Kore-eda évite les conclusions triomphalistes, préférant donner à ses personnages une lucidité durement acquise. Elle est ainsi forgée à travers une multitude d’instants fugaces et banals, parfois teintés de couleur locale, inspirée des imbroglios qui tapissent les relations parents-enfants, le monde du travail, la vie conjugale, ou celle du voisinage. Fidèle à ses thèmes de prédilection, il l’est aussi à ses acteurs, dont certains reviennent d’un film à l’autre. Si Hiroshi Abe sait se mouler à son univers en demi-teintes, il en va de même pour la vénérable Kirin Kiki dans le rôle de la mère vieillissante dont la bonhomie parfois excessive camoufle les fêlures, exemple d’une grande actrice en parfaite adéquation avec un rôle aux contours savamment esquissés.