Miroirs ébréchés
La couverture du livre est rose, mais son contenu ne l’est pas. Divisé en quatorze courtes nouvelles, Des femmes savantes de Chloé Savoie-Bernard est une mosaïque composée de fragments ébréchés de miroirs dans lesquels on peut apercevoir son reflet. Attention, les bords sont coupants: les narratrices ne sont pas là pour plaire, mais pour se mettre à nu.
À travers leur regard d’une fragile authenticité, parfois humoristique mais toujours brutalement honnête, de jeunes femmes nous offrent des instantanés de leur vie: une baise d’un soir, une sortie en public sans maquillage, une séance photo nue… Des moments qui vont du doux au douloureux, qui dévoilent sans filtre la réalité de ces jeunes femmes d’aujourd’hui, libres, mais pas tout à fait affranchies ni décomplexées, intensément vivantes, mais toujours contenues dans un carcan de règles sociales non écrites. Leurs histoires sont campées dans un Montréal tangible, baignées par la culture populaire, ce qui les ancre davantage dans le réel.
L’écriture est fluide, rythmique. Avec des phrases parfois courtes et hachurées, comme un halètement, parfois interminables et truffées de virgules, comme un long soupir; on a l’impression d’entendre les narratrices nous murmurer à l’oreille. Ce sentiment de proximité est accentué par la langue utilisée, un français québécois oscillant entre les registres populaire et littéraire, ponctué de mots anglais, aux tournures de phrases crues.
Chaque nouvelle est portée par une narration différente, parfois à la première personne, impitoyablement intime, ou à la troisième, plus détachée. Les jeunes femmes qui habitent le recueil sont à la fois uniques et ordinaires, pour que leurs voix puissent faire écho dans la tête des lectrices, comme pour leur dire «vous n’êtes pas seules».
Ce recueil n’épargne aucun des thèmes les plus actuels. Parfois difficile à lire en raison de la crudité des sujets, il n’en demeure pas moins nécessaire pour démystifier et normaliser certains des tabous féminins. Il s’agit d’une lecture douloureusement pertinente, parfois choquante, mais qui séduit grâce à la plume poético-trash qui porte les nouvelles.