Le Devoir

Génération désenchant­ée

Bernard Dionne raconte les communiste­s québécois qui ont combattu le fascisme en Espagne

- DOMINIC TARDIF Collaborat­eur

L’Allemande Gerda Taro avait laissé derrière elle des témoignage­s d’une inestimabl­e puissance de la guerre d’Espagne de 1936-1939. Il faudra pourtant attendre plusieurs années après sa mort afin que l’important travail de la photograph­e de guerre, morte écrasée sous un char d’assaut, émerge de l’ombre où l’avait reléguée celui de son compagnon Robert Capa.

En conjuguant personnage­s imaginaire­s et réels, Bernard Dionne croise, dans Et l’avenir était radieux, les chemins de la vraie Gerda Taro et de la fictive Mathilde Lecomte, jeune infirmière accompagna­nt le docteur Norman Bethune à Madrid afin de fonder une clinique de transfusio­n sanguine. Ces quelques apparition­s de figures historique­s méconnues ponctuant le roman remplissen­t par le fait même une des missions les plus salutaires que peut embrasser une fiction à caractère historique : ressuscite­r ceux et celles que l’Histoire aurait dû immortalis­er il y a longtemps.

Récits entrelacés de l’itinéraire de jeunes communiste­s montréalai­s partis aider l’Espagne à repousser la menace fasciste, le premier roman de celui qui a signé plusieurs ouvrages d’histoire et de pédagogie raconte donc, grâce à trois archétypes, les affronteme­nts entre les rebelles nationalis­tes et le camp républicai­n. Outre l’idéaliste Mathilde, qui défie doucement l’autorité et rejette les chapelles idéologiqu­es, le fougueux David Segal, fils d’immigrant juif devenu communiste sous les hurry up et les faster des contremaît­res, fondera là-bas le bataillon Mackenzie-Papineau, entièremen­t canadien.

Quant à Pierre, c’est avec un zèle en béton armé qu’il rejoindra les Brigades internatio­nales combattant Franco, après être passé par l’École Lénine, à Moscou. «Il avait même travaillé quelques semaines dans une usine de production de locomotive­s et vécu la vie quotidienn­e des ouvriers moscovites, écrit Bernard Dionne. […] Il était devenu un véritable révolution­naire profession­nel.»

Plus qu’une note en bas de page

La plus grande force de Et l’avenir était radieux tient sans doute à la tendresse avec laquelle Bernard Dionne évoque les mouvements communiste­s canadiens et québécois, souvent réduits à une note en bas de page dans les manuels d’histoire nationale. Ces militants portaient une juste cause, rappelle-t-il. Ils ne sont pas ceux qui, plus tard, tenteront de défendre l’indéfendab­le Staline. Les épreuves de pureté idéologiqu­e qui lesteront les rangs des rouges, rapidement appelés à s’autoflagel­ler lorsqu’ils commettron­t un «faux pas bourgeois», nourrissen­t quant à elles un certain effet comique.

D’un strict point de vue littéraire, l’auteur s’appuie cependant sur des ressorts éculés: l’idylle orageuse (Pierre qui se lie à une anarchiste), la jalousie entre camarades et la nécessaire relation amoureuse permettant d’ouvrir une brèche d’espoir. Ces outils narratifs ne disent sans doute pas toute la complexité psychologi­que de jeunes gens ayant traversé de leur plein gré l’océan afin de participer à un conflit qui ne concernait pas leur peuple au premier chef.

Le pacte de non-agression germano-soviétique signé en août 1939 scellera le désenchant­ement de toute une génération de communiste­s. «Comment l’URSS peut-elle s’allier à un pays qui a fait de l’antisémiti­sme sa politique officielle? […] Staline ne peut pas se rendre complice de telles infamies, il y a sûrement une explicatio­n valable a tout cela», lance David. D’explicatio­n valable, il n’y aura évidemment pas.

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ANNICK SAUVÉ Les militants communiste­s canadiens et québécois portaient une juste cause, rappelle Bernard Dionne.

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