Le Devoir

À l’origine de la fin

En sept nouvelles, Alain Bernard Marchand passe de l’immobilité à la vie

- CHRISTIAN DESMEULES Collaborat­eur

Les histoires qui composent le premier recueil d’Alain Bernard Marchand sont toutes portées par des événements liés entre eux de façon directe ou ténue. Ce sont sept nouvelles qui viennent surtout nous rappeler, d’une manière ou d’une autre, que toute chose a une origine et une fin.

Ainsi, dans L’oraison, un narrateur mort depuis trois jours, ancien conservate­ur de bibliothèq­ue qui conçoit, explique-t-il, la religion « comme un phénomène acoustique»,a laissé pour ses proches un enregistre­ment audio dans lequel il partage ses ultimes pensées et ses derniers témoignage­s d’af fection.

Une sorte d’oraison inversée, où c’est le mort qui fait l’éloge des vivants et qui nous rappelle quelques vérités qu’on oublie parfois. «Mais on comprend toujours trop tard que nous sommes faits de nos souvenirs, sinon nous aurions multiplié les occasions d’en fabriquer et aurions eu pour vivre l’audace qui nous a si souvent manqué.»

Dans 24, rue Drosi, un professeur d’histoire à l’université se souvient du voyage qu’il a fait en Grèce lorsqu’il était étudiant, au tournant des années 1980, à la recherche des traces de la Grèce antique et de ses propres origines. Né d’une brève liaison entre une Québécoise séjournant sur une île des Cyclades et le fils d’un dissident grec venu s’y cacher, muni seulement du nom de son géniteur, l’homme entreprend de retrouver sa trace muni de ces maigres indices. La rencontre aura lieu, entre l’étrangeté et la déception, alors que son géniteur lui offrira L’été grec, le livre magnifique et ensorcelan­t de Jacques Lacarrière.

Voyage immobile

Les pieds au sol et la tête dans les nuages, éprouvant une passion pour les « bathyscaph­es et les navettes spatiales », le narrateur de L’ascension est un fonctionna­ire qui distribue le courrier dans une tour de bureaux. Le temps d’une de ses tournées, d’un étage à l’autre, il nous convie à une sorte de voyage immobile, entre la rêverie et l’inventaire des lieux.

Dans Stamboul Blues, le narrateur se souvient d’un voyage qu’il a fait à Istanbul à l’époque de sa jeunesse « insatiable de nouveauté », en plein coup d’État militaire, en 1980, assailli par les images fortes comme si tout cela avait eu lieu hier. «Certaines sont si vives que j’ai parfois l’impression d’être rentré la veille et d’échapper au temps des horloges.» Par-dessous tout brille le souvenir de son amitié instantané­e avec un jeune voyageur suédois, rencontre qui vibre d’une légère tension homoérotiq­ue.

Plus loin, un homme découvre un cadavre en joggant dans un parc, avant d’empocher le carnet de notes que cet homme avait sur lui. Professeur d’histoire à l’université, Léo Polyakis y avait consigné l’ébauche d’une longue lettre adressée à un ami. Sans réfléchir, le narrateur entreprend­ra de retrouver le destinatai­re de cette lettre. (Le carnet Clairefont­aine). Une sorte de voyage, là aussi, à travers le temps et l’espace.

Poète, essayiste (sur Tintin et Genet, notamment), romancier, Alain Bernard Marchand, né à Shawinigan en 1958, habite à Ottawa depuis 1976. Un peu figées, porteuses d’une tension entre l’immobilité et le voyage, la mort et la vie, ses nouvelles semblent toutes liées par une sorte de fil initiatiqu­e. Une quête des origines, de voyages lointains, d’euphorie des rencontres de jeunesse.

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Alain Bernard Marchand

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