Emmanuel Macron… ou pas
Qui donc est ce jeune ministre des Finances qui occupe La place forte, premier roman de Quentin Lafay ?
Macron ou pas ? La question s’impose dans l’actualité politique du moment, mais pas seulement. Elle hante aussi la lecture de La place forte (Gallimard) de Quentin Lafay. Premier roman, cette fiction sort à point pour exposer le quotidien et la pensée d’un jeune politicien français, brillant universitaire, Béranger Thérice, nommé ministre des Finances et des Comptes publics dans une France en crise. Il va occuper la place forte de Bercy — c’est le nom donné au ministère des chiffres en France — pendant six jours à peine, six jours qui vont lui donner largement le temps de se placer en porte à faux avec le président de la République et le secrétaire général de l’Élysée, un certain Augustin V., autour de la question du Frexit, la sortie envisagée de la France de la zone euro, un enjeu politique qui a émergé dans la foulée du Brexit, la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne.
Rappelons qu’Emmanuel Macron, à la tête du jeune mouvement politique En marche! et engagé dans le deuxième tour de l’élection présidentielle française contre la la frontiste et populiste Marine Le Pen, a été ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique entre 2014 et 2016 dans le gouvernement de Manuel Valls. Fin 2015, il était passé à deux doigts de claquer la porte de Bercy pour indiquer son désaccord quant au projet de réforme de la déchéance de nationalité lancé par François Hollande après les attentats de Paris. Il quittera ses fonctions fin août 2016, en tension et en opposition ouverte avec Hollande et Valls, pour se mettre En marche! vers la présidence française.
Fiction inspirée par la réalité
Hasard? Coïncidence? Dans les premières pages, Quentin Lafay coupe court à toutes les suppositions et conjectures en précisant que le « lecteur qui tenterait d’opérer quelque rapprochement avec la réalité s’égarerait inévitablement ». Ce texte, écrit-il, «n’est en aucun cas un roman à clés», même si son auteur, faut-il le souligner à grands traits, a été membre du cabinet d’Emmanuel Macron à Bercy entre 2014 et 2016, rédacteur entre autres des discours du jeune ministre de l’Économie. Depuis septembre 2016, Quentin Lafay, 27 ans, occupe des fonctions stratégiques dans l’équipe de l’actuel candidat à la présidence.
La fiction a été de toute évidence nourrie par la réalité, mais n’en tire finalement ni finesse ni singularité, se perdant même, avec un style empesé, dans son incursion superficielle, prévisible et plutôt convenue dans les arcanes du pouvoir. «Il faut y aller, lance Béranger Thérice à son équipe en parlant de partir à la rencontre de manifestants anti-euro réunis à la place de la Bastille à Paris. C’est le moment de combler le fossé qui empêche les hommes de pouvoir de dialoguer avec l’homme de la rue. » La correspondance par courriel que le ministre entretient avec Sophie, son ex, fait résonner à la chaîne le même genre de lieux communs, cette banalité qui teinte autant le propos que la psychologie des personnages. «J’ai appris la nouvelle [de ta nomination] ce matin. […] C’est exceptionnel. Un itinéraire hors norme. Tu vas pouvoir goûter à l’inconnu », lui écrit-elle au terme d’un courriel-fleuve lancé comme un affront à la concision et à l’instantanéité qu’impose pourtant ce mode de communication.
Sans surprise et tout en longueurs, avec ses conseillers jouant de leur pouvoir, ses collaborateurs mièvres, son interminable description d’une séance de questions à l’Assemblée nationale pour raconter si peu et son ministre qui évoque sa peur des foules d’anonymes pour affirmer son humanité par ces fissures, La place forte est surtout bien faible. Elle renferme également tout ce vide qui habite les territoires narratifs déficitaires en distance critique et excédentaire en complaisance et opportunisme.