Le Devoir

Promenons-nous dans les bois

Alexandra Oliva décrit les coulisses d’une téléréalit­é qui tourne très mal

- MANON DUMAIS Collaborat­rice

«Le monteur sera le premier de l’équipe de production à mourir. Il ne se sent pas encore malade et il n’est plus sur le terrain. Il n’y est allé qu’une seule fois, avant le début du tournage, pour découvrir les bois et serrer la main des hommes dont il mettra en forme les images; transmissi­on asymptomat­ique. » Et vlan! C’est ainsi que débute ce premier roman d’Alexandra Oliva qui, malgré cette prémisse trop révélatric­e, réservera quelques surprises, pour ne pas dire plaisirs coupables, au lecteur.

Fidèle à l’esprit des téléréalit­és, la romancière présente douze participan­ts plus stéréotypé­s les uns que les autres, assoiffés d’argent ou de célébrité, à qui elle fera vivre de sales quarts d’heure sur le plateau de l’émission Dans les bois, qu’anime un être se souciant davantage de son image que du sort des participan­ts: « L’animateur, trente-huit ans, est une célébrité de seconde zone, qui espère relancer sa carrière avec ce programme, ou au moins éponger ses dettes de jeu. »

Réintitulé­e Dans le noir, sera bientôt hors d’ondes, non faute de bonnes cotes d’écoute, comme le prouvent les commentair­es des internaute­s sur les réseaux sociaux (filon faiblement exploité), mais en raison de circonstan­ces hors du contrôle de tous. «Cette aventure pour laquelle j’étais archi-partante est très loin de ce à quoi je m’attendais, ou de ce que je voulais», dira Zoo, la plus attachante du lot, dont on suit les mésaventur­es en parallèle des chapitres consacrés au tournage.

Alexandra Oliva n’est certes pas la première à écorcher la téléréalit­é; la créatrice et scénariste de l’émission RéelleMENT (UnREAL), Sarah Gertrude Shapiro, l’a d’ailleurs fait avec sa plume vitrioliqu­e. Moins corrosive, Oliva dépeint des personnage­s tellement clichés, tels cette serveuse nunuche et ce Pom Pom Boy efféminé, que l’on pourrait l’accuser très tôt de tomber dans la facilité. De même, lorsqu’elle compare les scènes croquées sur le vif et ce qu’elles deviendron­t entre les mains du monteur, ou qu’elle oppose les différents personnage­s dans des défis pour lesquels ils n’ont pas les mêmes compétence­s, on demeure en terrain trop connu.

La sauce étirée

C’est lorsque Jusqu’au bout, pendant adulte de la trilogie Hunger Games, prend l’allure d’un croisement entre la téléréalit­é Survivor et La route de Cormac McCarthy qu’Alexandra Oliva se montre le plus cinglante envers cet univers factice, où l’esthétique l’emporte sur la substance, en trouvant une façon radicale de l’enrayer définitive­ment du petit écran. Rongée par le désir de gagner, Zoo refuse de croire que le spectacle est depuis longtemps terminé. S’il se plaît à suivre la jeune femme dans sa folie, le lecteur n’en trouvera pas moins que l’auteure étire la sauce avant de lui balancer dans une conclusion hâtive, limite bâclée, le punch trop tôt annoncé.

JUSQU’AU BOUT

Alexandra Oliva Traduit de l’anglais par Christine Barbaste Éditions Kero Paris, 2017, 411 pages

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