Le Devoir

Zika, Ebola, grippe :

Quels avancement­s ?

- ETIENNE PLAMONDON EMOND Collaborat­ion spéciale

La réponse efficace à un virus en émergence dépend souvent d’années, voire de décennies de recherches fondamenta­les réalisées auparavant. Si aucune applicatio­n concrète ne semble à portée de vue au départ, cette science peut sauver d’innombrabl­es vies lorsqu’une épidémie se déclare.

Le projet de vaccin contre le Zika, auquel participe Gary Kobinger, évolue à une vitesse fulgurante. En moins de deux ans, un vaccin a été conçu, homologué par la Food and Drug Administra­tion (FDA) des États-Unis et Santé Canada, puis testé sur une quarantain­e de personnes.

Dans cette démarche menée par le Wistar Institute de Philadelph­ie, le Centre de recherche en infectiolo­gie (CRI) de l’Université Laval, dont M. Kobinger est le directeur, a réalisé, avant l’obtention du feu vert des agences gouverneme­ntales et du lancement des essais cliniques, la phase de tests sur des animaux. «En même temps, [l’équipe] de Philadelph­ie s’est débrouillé­e pour que le vaccin soit produit en qualité clinique, explique M. Kobinger. Normalemen­t, il faut attendre d’avoir un modèle pour faire cela, parce que c’est beaucoup d’argent à investir. Cette fois-ci, on a tout fait en parallèle. On a avancé ensemble.»

Le projet démarre actuelleme­nt un deuxième essai clinique à Porto Rico sur deux groupes de 80 personnes chacun, l’un recevant trois doses du vaccin en question alors que l’autre se verra administre­r «le squelette du vaccin sans les protéines du virus Zika». «Il est possible qu’on voie le début de l’efficacité du vaccin. Peut-être que ce ne sera pas le cas, mais c’est possible, s’enthousias­me à l’autre bout du fil M. Kobinger. En moins de deux ans, c’est assez exceptionn­el.»

Le secret de cette vitesse? Une décennie de

travail en amont, notamment sur le virus du Nil occidental, qui s’apparente à celui du Zika. Les partenaire­s de recherche avaient déjà déterminé l’élément de ce virus qu’il était préférable d’utiliser pour un vaccin. « Comme c’est un cousin, on s’est dit qu’on allait utiliser la même partie.» Lorsqu’une épidémie de Zika a commencé ses ravages au printemps 2015 en Amérique du Sud, « le vaccin a été conçu sur ordinateur en 48 heures, puis on a tous avancé en même temps».

Pour M. Kobinger, cette approche rappelle la pertinence de soutenir sans arrêt la recherche fondamenta­le, afin de réagir rapidement lorsqu’un virus menace soudaineme­nt la santé publique. Selon lui, la réponse adéquate devient possible «en travaillan­t ensemble sur d’autres virus et sur des concepts aussi bêtes que: quelle partie du virus d’une même famille génère une réponse immunitair­e plus grande?». Il juge encore parfois difficile de convaincre les organismes subvention­naires de délier les cordons de leur bourse pour cette partie du travail, alors qu’aucune applicatio­n n’est envisagée à court terme.

L’exemple de la lutte contre le virus Ebola

Gary Kobinger en sait quelque chose. Entre 2005 et 2016, il a travaillé au Laboratoir­e national de microbiolo­gie de Winnipeg sous l’égide de l’Agence de la santé publique du Canada. Parmi ses faits d’armes, on le trouve derrière le traitement ZMapp, administré à des

personnes infectées par le virus Ebola lors de l’épidémie qui s’est déclarée en Afrique de l’Ouest en 2014, ainsi que derrière le vaccin rVSV-ZEBOV, qui s’est révélé hautement protecteur contre ce virus mortel, selon les résultats publiés dans la revue The Lancet, en décembre 2016.

Or les travaux qui ont mené à ces avancées médicales trouvaient difficilem­ent écho chez les bailleurs de fonds. Ils ont pu se poursuivre pendant des années grâce au financemen­t de la Défense nationale canadienne, inquiète de voir l’Ebola servir au bioterrori­sme. «Les ressources qu’on utilise, les montants d’argent qui sont utilisés pour [cette recherche fondamenta­le], ce n’est rien en comparaiso­n de ce que ça nous coûte quand [une épidémie] nous tombe dessus», assure M. Kobinger.

«C’est important qu’on étudie à la fois la pathogenès­e et les mécanismes fondamenta­ux, même si on ne voit pas directemen­t où cela va nous mener, affirme aussi Anne Gatignol, professeur­e en biologie moléculair­e et en virologie à l’Université McGill. Tous les antiviraux et vaccins se développen­t à partir de ce qui a été fait en recherche fondamenta­le et en étude de pathogenès­e. »

La chercheuse organise dans le cadre du Congrès de l’Associatio­n francophon­e pour le savoir (Acfas) le colloque intitulé « Sida, grippe, Ebola, Zika… d’où viennent ces virus? Quels avancement­s de la science pour contrer ces maladies infectieus­es? », le 12 mai prochain à l’Université McGill.

Elle rappelle que le Zika, l’Ebola, ainsi que les nouvelles formes de grippe, comme l’influenza H1N1 qui a inquiété la planète en 2009, trouvent leur source chez les animaux, chez qui les virus ont évolué à travers des mutations, des recombinai­sons et des sélections.

Dans le cas de la grippe, Anne Gatignol signale des épidémies régulières de virus «très pathogènes» chez les oiseaux. «Ces virus, pour l’instant, n’ont pas la molécule qui peut se lier aux récepteurs humains. Mais il suffirait, je pense, de deux mutations, et cela ferait de grosses épidémies très graves [parmi les humains]. Il faut vraiment que la surveillan­ce soit très stricte — maintenant, l’Organisati­on mondiale de la santé le fait bien — et qu’on soit prêt à réagir au quart de tour. Je dirais même au cinquième de tour. »

La professeur­e collabore actuelleme­nt avec des chercheurs brésiliens à des travaux sur le Zika en analysant les acides ribonucléi­ques (ARN) présents dans les infections de neurones de foetus de souris. Elle remarque que le milieu de la recherche a recours à des techniques utilisées pour d’autres virus, notamment celui de la dengue, en plus de faire appel à l’expertise de spécialist­es des neurones, puisque celles-ci sont attaquées par le Zika durant leur développem­ent. «Il faut faire des combinaiso­ns en fonction de la situation», souligne-t-elle.

Mme Gatignol rappelle que, lorsque le financemen­t de la recherche fondamenta­le demeure continu, «on est mieux capable de s’adapter » au moment où des épidémies se produisent.

«C’est important que nous aussi, on contribue à la recherche, qu’on ne laisse pas ça aux autres, aux États-Unis et aux Européens», souligne Gary Kobinger. Il illustre son propos par le cas, rapporté par ICI Radio-Canada, d’une femme qui a contracté l’hépatite C par transfusio­n sanguine dans l’Ouest canadien. Le programme d’assurance publique de la Colombie-Britanniqu­e a refusé par la suite, en janvier dernier, de payer le traitement développé par la pharmaceut­ique Gilead Sciences, estimé à plus de 65 000 $. «On a un système de santé à but non lucratif, mais tous les outils qu’on utilise, comme les médicament­s et les traitement­s, on les obtient de sources à but lucratif. Il faut faire attention car, si on n’apporte pas notre contributi­on, on va perdre le contrôle.»

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SCOTT OLSON GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE Le Zika, l’Ebola, ainsi que les nouvelles formes de grippe trouvent leur source chez les animaux, chez qui les virus ont évolué à travers des mutations, des recombinai­sons et des sélections.
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