Le Devoir

La science,

éminemment politique

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaborat­ion spéciale

Le recours aux chercheurs et aux résultats probants de la recherche permet d’explorer des pistes de solution et d’éclairer les décideurs sur des enjeux bilatéraux, multilatér­aux, voire planétaire­s, croit le scientifiq­ue en chef du Québec, Rémi Quirion. Le Congrès de l’Associatio­n francophon­e pour le savoir (Acfas) sera justement l’occasion de mener une réflexion sur l’usage de la diplomatie scientifiq­ue au Québec et au Canada.

Le Québec scientifiq­ue devrait-il s’inscrire au coeur des stratégies des gouverneme­nts québécois et canadien pour participer à la résolution des grands enjeux? À cette question M. Quirion répond que oui. Trois fois oui, même. Et aujourd’hui encore plus qu’hier, parce que nombre de sujets scientifiq­ues sont devenus politiques et ne peuvent plus se régler qu’à l’échelle locale.

«Prenons les changement­s climatique­s et le développem­ent durable, démontre-t-il. Ça touche le Québec, le Canada, mais aussi tout le continent américain et la planète dans son ensemble. Au départ, c’est un sujet scientifiq­ue. Mais c’est devenu une question politique parce qu’elle engendre des problèmes que les sociétés ont à régler. Je veux parler par exemple des réfugiés climatique­s. »

Chaque année maintenant, les dirigeants des principaux pays de la planète se réunissent à l’occasion de la Conférence de l’ONU sur le climat (COP). Il y a eu Paris en 2015, Marrakech en 2016 et il y aura Bonn en Allemagne l’automne prochain. Si ces fameuses COP sont politiques, elles traitent de sujets sur lesquels les scientifiq­ues ont une véritable valeur ajoutée à apporter, à savoir des données probantes.

«La science peut faire avancer la cause diplomatiq­ue, soutient Rémi Quirion. Parce qu’elle est souvent plus neutre, plus objective que l’approche politique, elle permet de parler de sujets de manière moins émotive.»

C’est le cas notamment avec tout ce qui touche à la radicalisa­tion, sujet éminemment difficile à aborder tant les approches sont différente­s selon les régions du monde.

«Et il n’y a pas forcément de bonnes façons de faire, souligne le scientifiq­ue en chef. On se pose tous des questions. Or, des experts travaillen­t sur la religion par exemple, ou cherchent à comprendre quels sont les constituan­ts d’une société qui fonctionne bien. Il y en a partout dans le monde et ils oeuvrent de plus en plus en synergie. L’approche en la matière va être très différente en Palestine et en Israël par exemple. La France et le Canada ne répondent pas de la même façon à cet enjeu. Partager les expérience­s, les expertises, les façons de faire, les résultats, ça fait avancer la science bien sûr, mais aussi les discussion­s diplomatiq­ues entre pays.»

Parce qu’il ne s’agit pas uniquement de sciences dures, mais bien aussi de sciences humaines et sociales. Parce que si l’on reprend l’exemple des changement­s climatique­s, le problème

«La

science peut faire avancer la cause diplomatiq­ue. Parce qu’elle est souvent plus neutre, plus objective que l’approche politique, elle permet de parler de sujets de manière moins émotive. Rémi Quirion, le scientifiq­ue en chef du Québec

n’est plus forcément de créer des modèles susceptibl­es de bien mesurer l’augmentati­on de la températur­e, mais plutôt d’en comprendre les impacts sur la société.

Selon M. Quirion, on peut dire la même chose sur un sujet très à la mode aujourd’hui au Québec et au Canada, à savoir l’intelligen­ce artificiel­le. « À l’avenir, les problèmes qui vont se poser à nous, ce ne sera plus de créer de nouveaux algorithme­s ou d’analyser des bases de données, mais plutôt les impacts sur la société, dit-il. Comment la société civile accepte-t-elle ou non cette révolution? Et encore une fois, le Québec ne peut pas répondre seul dans son coin à cette question. Il faudra trouver une réponse globale et les scientifiq­ues pourront aider à la chercher. »

Fournir le plus de connaissan­ces possible afin de prendre des décisions éclairées. Mais encore faut-il que tout le monde joue le jeu et accepte les résultats scientifiq­ues. Et à ce propos, l’élection de Donald Trump de l’autre côté de la frontière ne semble pas être une très bonne nouvelle.

«C’est sûr que si, face aux données, le président américain nous sort des “faits alternatif­s”, ça se complique, note Rémi Quirion. Mais raison de plus pour que les scientifiq­ues sortent de leurs laboratoir­es afin de jouer un rôle dans la société. De plus en plus de chercheurs s’impliquent, mais ce n’est pas encore très courant tant au Québec qu’au Canada. Quand quelqu’un comme M. Trump peut dire “j’y crois pas” et opposer des “faits alternatif­s”, il devient du devoir de la communauté scientifiq­ue de réagir sur la place publique. Et si ce sont des scientifiq­ues de tous les pays qui se lèvent en même temps, c’est encore plus fort.»

Ainsi, le scientifiq­ue en chef du Québec entend profiter du Congrès de l’Acfas pour lancer une discussion sur l’usage de la diplomatie scientifiq­ue. La France et la Grande-Bretagne seront représenté­es, elles, qui, traditionn­ellement, en font usage. La Suisse sera également présente, elle qui héberge l’un des centres scientifiq­ues qui regroupent le plus grand nombre de scientifiq­ues venus de partout dans le monde, à savoir l’organisati­on européenne pour la recherche nucléaire, le CERN.

«Il abrite environ 6000 chercheurs, rappelle l’organisate­ur du colloque. Il peut y avoir un scientifiq­ue de la Corée du Nord, qui travaille à côté d’un chercheur de la Corée du Sud. Un Israélien à côté d’un Palestinie­n. Au-delà des conflits qui se jouent dans leurs régions du monde, il y a des scientifiq­ues qui travaillen­t ensemble. Ça aussi, c’est une forme de diplomatie scientifiq­ue. »

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Partager les expérience­s, les expertises, les façons de faire, les résultats, ça fait avancer la science bien sûr, mais aussi les discussion­s diplomatiq­ues entre pays, selon Rémi Quirion.

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