Penser l’intégration citoyenne
Les identités religieuses diasporiques se recomposent au sein de nos communautés occidentales. Dans les sociétés libérales plurielles, où le vivre-ensemble est un enjeu majeur, renforcer l’inclusion sociale devient de plus en plus important.
Pour se questionner sur l’intégration citoyenne, notamment au Québec, experts et scientifiques se réuniront le 11 mai prochain lors d’une journée de conférences. Le colloque, intitulé «Intégration citoyenne: identités religieuses et vivre-ensemble dans l’espace libéral», se déroulera dans le cadre du 85e congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas). Pour Sami Aoun, professeur de politique appliquée à l’Université de Sherbrooke et organisateur de l’événement, il s’agit d’un sujet particulièrement d’actualité. Spécialiste de l’histoire politique du monde arabe et du Moyen-Orient, il s’intéresse également à la place de la religion dans l’espace public national et international.
«Lorsqu’une personne quitte son pays d’origine et arrive dans un nouveau territoire, elle a pleinement l’ambition et le droit d’être traitée à égalité avec les signataires du contrat social en vigueur, explique M. Aoun. Dans les démocraties sociales, ce contrat se fonde sur le primat de la liberté de conscience, d’expression, de l’égalité citoyenne et aussi sur le recours à l’État de droit comme protecteur de sa sûreté et de son bien-être.» De cette façon, aucune identité religieuse ne peut contrevenir à la loi du pays. «Par exemple, les discours religieux qui appellent au châtiment corporel, comme couper la main du voleur dans l’islam, sont complètement bannis et déstabilisent l’ordre juridique
et social, détaille le professeur. À ce moment, il faut que le discours religieux soit se rétracte, soit qu’il cherche en lui-même ce que j’appelle les “ruses juridiques”, les ruses de la raison pour s’accommoder.»
Bouleversement identitaire
Toutes les identités religieuses, une fois dans l’espace démocratique libéral, ont pour obligation de s’y intégrer, en maintenant un dialogue permanent avec la modernité. Pour M. Aoun, les choix sont alors clairs pour les membres des sociétés diasporiques: soit ils se sont rangés intellectuellement, juridiquement et théologiquement dans cet espace, soit ils sont en marge. «Cela ne signifie pas que vous n’avez pas le droit de demander des changements, au contraire. Les identités religieuses ont le droit et l’obligation même de questionner cette modernité, de l’intégrer, de lui demander des accommodements, des accommodements raisonnables, précise-t-il. Mais là où il y a une ligne à ne pas dépasser, c’est lorsque cette interpellation religieuse de la modernité vient déstabiliser ou bien qu’elle constitue, en tant que telle, une régression.»
Le professeur rappelle aussi l’importance, pour tous les citoyens, quelles que soient leur confession, d’avoir connaissance des discours religieux. Il estime que, pour une intégration réussie dans une société québécoise sécularisée, une bonne culture des grandes civilisations des sociétés «où le religieux est toujours un facteur constituant et un vecteur identitaire dominant» est nécessaire. Il regrette par ailleurs que les recherches sur ces enjeux ne soient pas toujours très présentes dans les médias, d’où une certaine méconnaissance du public sur la religion. « C’est une théologie contextuelle qu’il faut chercher pour comprendre les identités religieuses et leur mutation, leurs changements, avance-t-il. Il faut lire le nouveau contexte, pour le bienfait de la religion et de l’intégration citoyenne.»
L’importance du vivre-ensemble
Par ailleurs, le colloque traitera du côté polysémique de la religion, puisque, par nature, les textes sacrés tolèrent plusieurs interprétations. « Selon leurs interprétations, les textes pourraient être anti-libéraux, anti-modernes ou violents, mais ces mêmes textes pourraient aussi être intégrés à l’espace moderne, à la conception citoyenne, à l’espace libéral fondé sur le primat de la liberté individuelle et sur le droit identitaire communautaire», note M. Aoun.
Toujours dans la perspective de ce bouleversement identitaire, la question du vivre-ensemble dans la société sera aussi traitée lors du colloque. «Nous allons étudier la vision libérale qui fonde notre société québécoise pour voir la latitude qu’elle va donner aux identités religieuses et quelles sont les conditions pour garder un dialogue interreligieux, interculturel, sans déstabiliser le système présent», décrit le professeur.
Une approche interdisciplinaire de ces thèmes est nécessaire, selon M. Aoun, qui soulève la «complexité» du phénomène religieux. De plus, il note que la montée de l’autoritarisme et du populisme — avec Donald Trump aux États-Unis, Vladimir Poutine en Russie ou encore Marine Le Pen en France — est particulièrement menaçante pour l’intégration citoyenne. De même, il dénonce certaines idéologies de gauche, faisant l’éloge de l’anti-religieux ou qui considère le religieux comme « des vestiges de l’arriération, du retard ou du conservatisme maladif». «C’est là que nous avons besoin des regards interdisciplinaires et multidisciplinaires, avec des grilles de lecture de plus en plus riches pour comprendre pourquoi le religieux devient responsable d’une certaine brutalisation et comment, parfois, des idéologies laïques deviennent anti-religieuses, jusqu’au non-respect du religieux, dit-il. Nous sommes à un moment où le religieux a des mérites. Il peut aider à avoir une vision plus humaniste et une culture de dialogues. »
Le professeur confie avoir conscience du fait qu’il s’agit d’un sujet sensible. « Surtout après avoir pensé qu’au Québec, nous étions immunisés, nous voyons maintenant la montée d’un discours religieux qui appelle à des replis, à une réfutation de base de notre modernité québécoise démocratique, déclare-t-il. D’autre part, il y a une montée de l’extrême droite, qui est menaçante pour les acquis de l’État de droit, de la Révolution tranquille, de la démocratisation du Québec et de sa laïcisation.» Pour lui, les événements récents justifient d’autant plus la tenue de ce colloque.