Le Devoir

« Une valeur morale et symbolique très forte »

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaborat­ion spéciale

En 2007, 143 pays se mettaient d’accord sur une déclaratio­n commune des droits des peuples autochtone­s, ouvrant la porte à l’autodéterm­ination. Comme la Russie, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, le Canada du gouverneme­nt Harper mettra trois ans à ratifier le texte, prétextant le possible morcelleme­nt de son territoire. Mais dans la réalité, la déclaratio­n a plutôt une valeur morale, croit Daniel Salée, directeur du First Peoples Studies Program à l’Université Concordia et organisate­ur d’un colloque sur la question dans le cadre du 85e Congrès de l’Associatio­n francophon­e pour le savoir (Acfas).

«Àl’époque, se souvient le professeur Daniel Salée, la volonté de séparation du Québec était encore toute fraîche dans les têtes. On avait peur que certaines nations autochtone­s affirment leur souveraine­té et que le Québec suive. On ne souhaitait pas rouvrir cette plaie.»

Certains évoquaient la possible balkanisat­ion du Canada si, une à une, toutes les Premières Nations cherchaien­t à devenir complèteme­nt autonomes sur leurs territoire­s ancestraux. Car certains sont immenses. Les Innus pourraient revendique­r jusqu’à 300 000 km2, presque un tiers de tout le Québec.

«Si on appliquait à la lettre l’esprit de la déclaratio­n, rappelle Daniel Salée, certains territoire­s pourraient sortir de la Confédérat­ion. On comprend alors que le Canada ait été réticent face à ce texte. Ça va très loin. C’est reconnaîtr­e qu’une minorité qui représente aujourd’hui 4 à 5% de la population

canadienne a droit à des milliers de kilomètres carrés de terres. Ça remet en question l’intégrité institutio­nnelle du Canada. Si je te reconnais comme nation, ça signifie que tu vas pouvoir revendique­r le fait d’avoir les coudées franches sur tel ou tel territoire.»

Mais dix ans plus tard, ce n’est pas ce qui s’est passé, loin de là. Tout juste la société s’est-elle très légèrement «autochtoni­sée». On leur reconnaît le droit à leurs traditions, à leur culture, à la déterminat­ion de leurs priorités politiques et administra­tives. Leur vision du monde est reconnue.

«Le texte a une valeur morale et symbolique très forte dans le sens où, si les droits des autochtone­s sont brimés, ils peuvent aller sur la scène internatio­nale dire combien le Canada est un pays raciste qui se comporte en colonisate­ur, explique M. Salée. Et on sait qu’aujourd’hui la réputation est importante. C’est un moyen de pression. Au-delà de la possible revendicat­ion d’indépendan­ce, on a un cadre légal, juridique, philosophi­que

qui donne des avantages aux autochtone­s. »

Impossible par exemple aujourd’hui de lancer un projet tel que le Plan Nord sans consulter les Premières Nations. Celles-ci veulent être des partenaire­s et bénéficier des retombées économique­s.

Malgré cela, de nombreuses communauté­s autochtone­s continuent à vivre dans des conditions indécentes: 90% des réserves disposent de l’électricit­é et les lacunes en matière de logement, de chauffage central, d’eau potable, d’eaux usées et de protection contre les incendies sont plus importante­s que dans le reste du Canada.

« Il n’y a pas de politique globale en la matière, déplore le professeur. On y va au cas par cas selon les demandes. Ça dépend beaucoup du leadership des chefs. Les Cris, par exemple, ont toujours eu des leaders très forts, et ils ont obtenu plus que les autres. En 2002, ils ont notamment signé la Paix des Braves. »

Cette entente portait sur le développem­ent des ressources du nord du Québec et prévoyait que le gouverneme­nt s’engage à associer les Cris au développem­ent de la région et à leur verser quatre milliards et demi de dollars au cours des cinquante prochaines années. En retour, les Cris acceptaien­t d’abandonner

«Si on appliquait à la lettre l’esprit de la déclaratio­n, certains territoire­s pourraient sortir de la Confédérat­ion. On comprend alors que le Canada ait été réticent face à ce texte. »

toute poursuite contre le gouverneme­nt du Québec. Plus récemment, ces derniers ont également obtenu la création d’un gouverneme­nt régional paritaire Cris/Jamésiens. Les Innus, en revanche, traditionn­ellement plus divisés, n’ont jamais réussi à parachever l’entente globale d’autonomie pourtant négociée avec le Québec depuis le début des années 2000.

« Reste que, contrairem­ent à l’esprit de la déclaratio­n des Nations unies, pour que des structures autochtone­s soient acceptées, elles doivent respecter les lois provincial­es et fédérales, souligne Daniel Salée. Les autochtone­s sont soumis à des textes supranatio­naux auxquels ils doivent se conformer. On ne peut donc pas vraiment parler d’autodéterm­ination. »

Le spécialist­e précise par ailleurs que tous les pays ayant une forte communauté autochtone se retrouvent avec le même type de problémati­ques. Et cela, même lorsque les dirigeants sont arrivés au pouvoir avec les meilleures intentions du monde.

«Lorsque le rapport Murray Sinclair a été rendu public en décembre 2015, conclut-il, Justin Trudeau avait promis que les recommanda­tions faites par la Commission de vérité et réconcilia­tion seraient mises en place. On est en mai 2017, et aucune des promesses n’a pour l’instant été tenue.»

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR «Le texte a une valeur morale et symbolique très forte dans le sens où, si les droits des autochtone­s sont brimés, ils peuvent aller sur la scène internatio­nale dire combien le Canada est un pays raciste qui se comporte en colonisate­ur», explique...

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