Le Devoir

Le Quartier de l’innovation réalisera-t-il ses ambitions ?

- ETIENNE PLAMONDON ÉMOND Collaborat­ion spéciale

Le pari du Quartier de l’innovation reste loin d’être gagné. Cet organisme sans but lucratif a vu le jour en mai 2013 à l’initiative de l’École de technologi­e supérieure (ETS) et de l’Université McGill. Sa mission: transforme­r le quadrilatè­re entre le boulevard René-Lévesque, la rue McGill, le canal de Lachine et l’avenue Atwater en un «laboratoir­e d’expériment­ation» et en un «écosystème d’innovation». Inspiré des quartiers 22@Barcelona et Innovation District de Boston, il mise sur la collaborat­ion entre les acteurs sociaux, culturels, scientifiq­ues, universita­ires et industriel­s sur place pour stimuler l’entreprene­uriat et la créativité, au point de faire émerger une vitrine de l’innovation dans la métropole.

Quatre ans plus tard, même si plusieurs initiative­s se mettent en marche, seulement 81 entreprise­s, institutio­ns et laboratoir­es dans le domaine des technologi­es de l’informatio­n (TI) ont pignon sur rue dans le périmètre du Quartier de l’innovation, selon un inventaire réalisé par Priscilla Ananian, professeur­e au Départemen­t d’études urbaines et touristiqu­es de l’UQAM, en collaborat­ion avec la grappe TechnoMont­réal. «Il y a très peu de ces entreprise­s sur le territoire. Elles sont ailleurs», constate Mme Ananian, qui travaille actuelleme­nt sur le rôle de l’urbanisme dans la fabrique des lieux d’innovation. Quant aux espaces de cotravail, dont le discours sur l’innovation vante les vertus pour les échanges et les collaborat­ions qu’ils accueillen­t, le Quartier de l’innovation n’en compte que 2 alors qu’on en trouve 35 à Montréal. «On parle de Quartier de l’innovation, mais ce n’est pas vraiment ce que l’on voit pour l’instant sur le terrain.»

Pourtant, cette idée que des voisinages sont propices à l’innovation a la cote. Et pas seulement à Montréal. Mme Ananian a visité de manière exploratoi­re certains quartiers nord-américains ayant la même ambition, dont South Waterfront à Portland, South Lake Union à Seattle et False Creek Flats à Vancouver.

«Il peut y avoir des innovateur­s et des créateurs dans ces quartiers, mais il y en a presque autant en dehors», observe Richard G. Shearmur, professeur à l’École d’urbanisme de l’Université McGill spécialisé dans la géographie économique. Il y a quelques années, le chercheur s’est penché sur l’innovation dans les entreprise­s du secteur des services supérieurs, dont font notamment partie les entreprise­s dans les domaines du multimédia, du conseil technique ou de l’architectu­re, pour ensuite analyser leur emplacemen­t géographiq­ue par rapport aux pôles reliés à leur grappe ou à leurs activités. Il a publié ses résultats en 2012 dans la revue Urban Studies. Sa conclusion? «Les entreprise­s à l’extérieur ne sont pas plus ni moins innovatric­es ou créatives.» Selon lui, les quartiers ou pôles géographiq­ues avec une vocation similaire peuvent attirer ce genre d’entreprise­s, mais ne les rendent pas plus innovatric­es pour autant.

«L’idée sous-jacente à ce Quartier de l’innovation qu’il faut regrouper, dans un petit quartier, des acteurs de l’innovation pour créer des synergies, pour moi, c’est une histoire qui a de moins en moins de valeur.» À ses yeux, cette idée issue de la révolution industriel­le, et remise au goût du jour avec le déclin du secteur

industriel dans les années 1990, ne tient plus la route depuis l’améliorati­on des communicat­ions mobiles et numériques au tournant du millénaire. «Si on a envie d’innover, on ne se tourne plus vers le voisin», souligne-t-il.

Dans un article qu’il a cosigné en 2016 dans la revue Entreprene­urship & Regional Developmen­t, M. Shearmur avance l’idée que, si les entreprise­s situées dans les grandes villes interagiss­ent davantage avec divers acteurs, celles à l’extérieur vont chercher des informatio­ns techniques, prennent plus de temps à les analyser et utilisent davantage leurs capacités internes pour innover. « C’est une raison pour laquelle j’ai des doutes sur le fonctionne­ment de ces quartiers, explique-t-il. Ils fonctionne­nt sur l’a priori que, pour innover, il faut absolument être extraverti. Or on peut être introverti et innover. Et c’est ce qui se passe dans les régions.»

M. Shearmur qualifie de quartier imaginaire le Quartier de l’innovation dans le titre de la présentati­on qu’il fera le 11 mai prochain à l’Université McGill lors du colloque «Vivre Montréal: enjeux et défis d’une ville en mutation». Il voit néanmoins d’un bon oeil la revitalisa­tion urbaine qui accompagne ce genre de projet. «C’est contre le discours économique que je m’insurge, précise-t-il. Ça ne correspond pas à ce qu’on va avoir.»

L’exemple de la Cité du multimédia

Selon lui, pas besoin de chercher bien loin pour trouver l’exemple d’un quartier ayant une vocation similaire et qui n’a pas rempli ses promesses. Il suffit, à partir du Quartier de l’innovation, de traverser le boulevard urbain en constructi­on à l’endroit de l’ancienne autoroute Bonaventur­e et de visiter la Cité du multimédia. «Ça me désole qu’on ait la mémoire aussi courte», dit-il.

En 1997, le gouverneme­nt du Québec avait lancé ce projet pour faire de l’ancien Faubourg des Récollets le nid des entreprise­s dans le domaine des nouvelles technologi­es. L’initiative a stimulé la promotion immobilièr­e, mais les entreprise­s innovatric­es du secteur multimédia se sont plutôt installées dans le Mile-End, où un véritable pôle de l’innovation a émergé de manière naturelle en raison du faible prix des loyers dans ses anciennes infrastruc­tures industriel­les.

Or, cette condition propice pour attirer les jeunes entreprise­s innovantes disparaît à Griffintow­n, puisque les promoteurs immobilier­s s’en sont déjà entichés depuis quelques années. Priscilla Ananian reconnaît que le projet du Quartier de l’innovation arrive peut-être trop tard dans le développem­ent urbain.

Dans son projet de recherche, elle s’attarde notamment au rôle des plans d’urbanisme, de l’accessibil­ité au transport et de l’aménagemen­t d’espaces publics et ouverts dans les endroits dont la vocation consiste à stimuler l’innovation. Elle souhaite aussi observer comment ces quartiers peuvent devenir des prétextes pour expériment­er de nouvelles approches, comme pour les entreprise­s Vidéotron et Ericsson dans le Quartier de l’innovation à travers le projet de résidences étudiantes intelligen­tes à l’ETS. Cet été, elle mènera des entrevues auprès d’acteurs économique­s et du développem­ent urbain dans trois pôles différents de Montréal, soit justement la Cité du multimédia, le Quartier de l’innovation et le pôle Saint-Viateur Est dans le Mile-End.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR La tour d’aiguillage de Wellington, située dans le Quartier de l’innovation, deviendra un espace consacré à l’urbanité, dont l’ouverture est prévue en 2018.
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