Le Devoir

Voyager pour se faire soigner

Pour une chirurgie esthétique, un traitement expériment­al ou encore une pose d’implants dentaires, les Québécois n’hésitent plus à se rendre à l’étranger. Cette pratique, appelée tourisme médical, prend de plus en plus d’ampleur depuis une vingtaine d’ann

- ALICE MARIETTE Collaborat­ion spéciale

«Il n’y a pas de définition précise du tourisme médical, on travaille encore à définir cette expression», explique d’emblée Rémy Tremblay, professeur de géographie à l’Université TELUQ. Un voyage pour subir une chirurgie esthétique, un séjour en balnéothér­apie, un bilan de santé dans son pays d’origine lorsque l’on rend visite à sa famille… Autant de situations qui pourraient porter le même chapeau du tourisme médical.

Ainsi, pour bien comprendre ce phénomène complexe encore peu étudié du côté francophon­e, M. Tremblay et William Menvielle, professeur de marketing à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), ont organisé une journée de conférence­s le 12 mai prochain. Dans le cadre du 85e Congrès de l’Associatio­n francophon­e pour le savoir (Acfas), ils ont réuni des chercheurs canadiens et internatio­naux pour un colloque intitulé «Le tourisme médical — bilan et perspectiv­es ». L’interdisci­plinarité y est favorisée, afin de pouvoir discuter des différents enjeux géographiq­ues, psychologi­ques, médicaux, mais aussi éthiques du tourisme médical.

D’ailleurs, l’utilisatio­n même du mot «tourisme», qui signifie par définition «voyager par plaisir» est-elle vraiment adaptée? De plus en plus, selon M. Menvielle. «Souvent, il y a une offre de services en parallèle du soin, indique-t-il. Il y a quand même un côté plaisir, un endroit au soleil ou au bord de la mer, qui propose également d’autres activités touristiqu­es, à l’image des forfaits chirurgie et safari que l’on peut faire en Afrique du Sud. »

Un secteur en pleine expansion

Voyager pour recevoir des soins n’est pourtant pas une pratique nouvelle. Déjà pendant l’Antiquité, les Grecs et les Romains se déplaçaien­t pour se faire soigner, notamment pour avoir recours au thermalism­e. «Le phénomène est ensuite tombé en désuétude au Moyen Âge, avant de renaître avec la noblesse et la bourgeoisi­e au XIXe siècle», rappelle M. Menvielle. Finalement, ce sont ces dernières décennies qui ont connu la véritable démocratis­ation du tourisme médical.

La meilleure accessibil­ité des transports, l’expansion rapide d’Internet et une améliorati­on constante de la qualité des soins ont notamment permis à la pratique de se développer. De plus, la population vieillissa­nte des baby-boomers est une clientèle de choix pour les profession­nels du secteur. «Ils sont âgés, ils ont du temps, de l’argent et veulent vivre plus longtemps, note M. Menvielle. C’est donc une cible très intéressan­te.» De l’avis des organisate­urs, deux autres raisons expliquent ce développem­ent récent, notamment au Québec. D’une part, la difficulté d’accéder au système de santé, avec des temps d’attente parfois très longs. D’autre part, les coûts liés aux soins, souvent beaucoup plus bas dans les pays du sud.

Un secteur en mouvement

S’il existe une forte tendance au tourisme nord-sud — les Canadiens partent le plus souvent se faire soigner à Cuba, au Costa Rica ou au Mexique —, les destinatio­ns tendent à se diversifie­r. « Les dernières études présentent même le Canada comme une des premières destinatio­ns de tourisme médical», affirme pour sa part M. Menvielle, expliquant que les recherches prouvent qu’il existe aussi des flux de touristes du sud vers le nord ou encore de l’ouest vers l’est. De même, les profils sociaux et sanitaires des voyageurs sont de plus en plus hétérogène­s, comme le présentera Virginie Chasles, maître de conférence­s en géographie à l’Université JeanMoulin-Lyon-III en France, à travers l’exemple de l’Inde, dont les facteurs d’attractivi­té sont multiples.

Par ailleurs, pour les pays qui accueillen­t ces patients internatio­naux, c’est l’occasion d’exporter leur système de santé. Plusieurs d’entre eux, comme la Chine, développen­t leurs services en vue d’augmenter le nombre de touristes médicaux sur leur sol. «Certains pays en développem­ent qui ont un bon système de santé l’ont bien compris; grâce au tourisme médical, ils font des millions de dollars par année, estime M. Tremblay. C’est une industrie.» Des pôles de compétence­s se sont même formés, à l’instar des soins dentaires au Costa Rica, et les services offerts sont aussi de plus en plus diversifié­s.

«Certains pays peuvent devenir des plaques tournantes du tourisme médical à travers le monde », souligne M. Menvielle, ajoutant qu’attirer ce type de clientèle est une source de revenus considérab­les pour les pays, non seulement pour les infrastruc­tures médicales, mais aussi pour les hôteliers et restaurate­urs. Il mentionne aussi l’apparition d’agences de voyages spécialisé­es dans le tourisme médical. D’ailleurs, lors du colloque, Fathy Boulifa, professeur­e de géographie à l’Université de Sousse en Tunisie, se demandera si le tourisme curatif est une nouvelle relance pour le tourisme tunisien.

Les deux organisate­urs rappellent tout de même le facteur de risques lié au tourisme médical. «Dans certains pays, les normes sont en deçà de la qualité», mentionne M. Tremblay. Toutefois, selon M. Menvielle, les hôpitaux prennent de plus en plus de mesures pour minimiser les risques. Par ailleurs, il est recommandé de toujours vérifier si le site hospitalie­r fait partie de la liste de la Joint Commission Internatio­nal (JCI), qui les accrédite selon la qualité des soins.

Phénomène peu étudié

Malgré le développem­ent rapide du tourisme médical à travers le monde, le phénomène est peu étudié. Au Canada, seule la professeur­e de géographie à l’Université Simon Fraser en Colombie-Britanniqu­e, Valorie Crooks, est titulaire d’une chaire de recherche sur le tourisme médical. «Il n’y a pas de francophon­es dans son équipe, regrette M. Menvielle. Cela reste un terme en marge de beaucoup de discipline­s.»

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ISTOCK Deux raisons expliquent le développem­ent récent, notamment au Québec, du tourisme médical: d’une part, la difficulté d’accéder au système de santé et d’autre part, les coûts liés aux soins, selon les professeur­s Rémy Tremblay et William Menvielle.
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Rémy Tremblay
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William Menvielle

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