Le Devoir

La loi 101 a transformé les communauté­s anglophone­s

- MARTINE LETARTE Collaborat­ion spéciale

Adoptée il y a 40 ans, la Charte de la langue française, communémen­t appelée loi 101, a transformé les communauté­s québécoise­s d’expression anglaise. Les différents volets juridique, éducationn­el et identitair­e de ces changement­s feront l’objet d’un colloque au congrès annuel de l’Associatio­n francophon­e pour le savoir (Acfas), les 10 et 11 mai.

«La loi 101 est un sujet très complexe, très important, mais aussi très sensible, et nous voulions faire le bilan des transforma­tions des communauté­s québécoise­s d’expression anglaise en 40 ans», explique Lorraine O’Donnell, l’une des responsabl­es du colloque et coordonnat­rice-chercheuse au Réseau de recherche sur les communauté­s québécoise­s d’expression anglaise à l’Université Concordia.

Pour présenter des points de vue équilibrés, le comité de programmat­ion a réuni des intervenan­ts des trois université­s anglophone­s du Québec, soit McGill, Concordia et Bishop’s, de même que du Collège Dawson, mais également de l’Université Laval, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et de l’Université de Moncton.

D’anglophone­s à Anglo-Québécois

Pour Cheryl Gosselin, professeur­e de sociologie à l’Université Bishop’s, il ne fait aucun doute qu’on est passé de communauté­s anglophone­s à anglo-québécoise­s dans la province depuis 40 ans.

« Après l’adoption de la loi 101, on est devenus une minorité, mais plus les années passaient, plus les anglophone­s devenaient à l’aise avec euxmêmes, et ce statut a perdu son sens », affirme Cheryl Gosselin, également membre du conseil d’administra­tion de l’Associatio­n des Townshippe­rs, un organisme créé en 1979 pour soutenir la communauté d’expression anglaise des Cantons-de-l’Est.

D’ailleurs, la chercheuse a constaté que les organismes communauta­ires ont grandement contribué à cette évolution. Elle cite en exemple Literacy in Action, qui, en plus de travailler à améliorer les compétence­s de lecture et d’écriture, développe maintenant des projets structuran­ts pour toute la communauté de Lennoxvill­e.

De plus, si les anglophone­s ne sont pas aussi nombreux qu’avant, Cheryl Gosselin remarque qu’ils sont aujourd’hui pratiqueme­nt tous bilingues.

« Nous habitons ici, travaillon­s ici, avons des rapports avec les francophon­es et, malgré les distinctio­ns, nous sommes tous des Québécois et des Québécoise­s», affirme-t-elle.

Les francophon­es et les Anglo-Québécois se marient entre eux, observe-t-elle, et tous se retrouvent ensemble aux parties de soccer des enfants. «Et dans les estrades, tout le monde parle franglais!» s’exclame-t-elle.

Perspectiv­e juridique

La Charte de la langue française est venue décréter le

français comme langue officielle de l’État et des tribunaux de la province, ainsi que la langue normale et habituelle au travail. Elle limite également l’accès aux écoles de langue anglaise et interdit l’usage de l’anglais sur l’affichage commercial. Une loi qui comporte plusieurs grands défis d’interpréta­tion.

Le volet juridique sera donc très présent dans le colloque. L’avocat Michael Bergman parlera de l’interpréta­tion de la Loi et de l’applicatio­n des concepts opposés de droits collectifs et de libertés individuel­les.

De son côté, Frédéric Bérard, chargé de cours à l’Université de Montréal et codirecteu­r de l’Observatoi­re national en matière de droits linguistiq­ues, se concentrer­a sur l’arrêt Ford. Controvers­ée, cette décision est venue invalider une partie de la Charte de la langue française qui imposait l’exclusivit­é du français en matière d’affichage commercial.

Pour sa part, Éric Poirier, doctorant à l’Université de Sherbrooke et à l’Université de Bordeaux, mettra l’accent sur de nombreuses causes venues remettre en question l’interpréta­tion judiciaire de la Charte. Il vient d’ailleurs de publier le livre La Charte de la langue française: Ce qu’il reste de la loi 101 quarante ans après son adoption.

Lorsque le milieu scolaire innove

Le colloque abordera aussi la question de l’éducation alors que le secteur scolaire anglophone s’est adapté à la réalité politique, sociale et linguistiq­ue.

Brian Rock, de la Fédération québécoise des associatio­ns foyers-écoles, présentera le rôle qu’ont joué les parents bénévoles en matière de législatio­n linguistiq­ue depuis la loi 101.

De son côté, Patricia Lamarre, professeur­e à la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Montréal, abordera l’évolution du système scolaire anglophone, ses innovation­s comme l’immersion française, ainsi que ses défis.

Alors qu’il y a moins d’écoles anglaises qu’avant, Cheryl Gosselin constate que celles qui restent doivent leur survie en partie aux enfants francophon­es dont un parent a fréquenté l’école anglaise et qui voient la valeur du bilinguism­e.

«Le mélange des communauté­s se poursuit», affirme celle qui remarque d’ailleurs un nombre grandissan­t d’étudiants francophon­es à Bishop’s qui souhaitent améliorer leurs compétence­s en anglais afin de s’ouvrir plus de portes à l’étranger.

«Sans jamais oublier toutefois qu’ils sont des francophon­es nés au Québec», affirme-t-elle.

La richesse de la diversité

Si les communauté­s québécoise­s d’expression anglaise ont beaucoup évolué, Cheryl Gosselin est aussi d’avis que le travail doit se poursuivre.

« Aujourd’hui, c’est une chose et demain, c’est autre chose», affirme la chercheuse, qui s’intéresse maintenant aux immigrants qui viennent s’installer à Sherbrooke.

« Certains comprennen­t mieux l’anglais que le français, alors les communauté­s angloquébé­coises sont bien placées pour les aider à s’intégrer au Québec», affirme-t-elle.

La sociologue est d’avis que le Québec est de plus en plus une société mondialisé­e, à l’aise avec la diversité. Et elle s’en réjouit.

«Je souhaite que les francophon­es et les Anglo-Québécois vivent ensemble, en paix, en réalisant la richesse d’avoir autour d’eux des gens de différente­s communauté­s, dans une province ouverte à tous.»

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le monument Camille-Laurin rend hommage au père de la Charte de la langue française en rappelant la contributi­on du docteur au rayonnemen­t du français au Québec.

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