Le Devoir

Une réflexion sur l’employabil­ité des doctorants

Il se trouve de plus en plus d’étudiants qui choisissen­t d’accéder à des études supérieure­s. Pendant ce temps, le marché du travail demeure relativeme­nt peu ouvert à leur embauche en fonction de leurs compétence­s, autant dans les pays du Nord que du Sud.

- RÉGINALD HARVEY Collaborat­ion spéciale

Le problème se pose de cette façon: quand ils se présentent pour trouver un emploi dans divers domaines, particuliè­rement dans le secteur privé, les détenteurs de doctorat se heurtent plutôt à des portes entrouvert­es que grandes ouvertes. « Il en va de même depuis fort longtemps, effectivem­ent», rapporte Jean-Claude Coallier, professeur à la Faculté de l’éducation et responsabl­e du doctorat en éducation de l’Université de Sherbrooke.

L’Agence universita­ire de la Francophon­ie (AUF) et le Centre de recherches pour le développem­ent internatio­nal (CRDI) ont donc convenu de prêter leur concours à une recherche menée conjointem­ent par l'Université de Sherbrooke et l'Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban) et portant sur la hausse marquée du taux de chômage chez ces diplômés.

Tout comme de nombreux pays, les université­s libanaises démontrent énormément d’ouverture pour les programmes de doctorat, mais la plupart de

leurs finissants se heurtent à une impossibil­ité de trouver du travail. Quant au Québec, les chercheurs d’ici disposent de données révélatric­es sur la situation des doctorants. Ainsi, le travail de recherche s’est effectué sur une base de référence comparativ­e entre les deux hémisphère­s. «On a essayé de voir si ce qui se passe làbas est semblable ou différent», note M. Coallier.

Au départ, la question qui s’est posée est la suivante, note le chercheur : «On voulait voir, autant du côté des étudiants que des institutio­ns et des entreprise­s, s’ils ont une sensibilit­é au fait que les finissants peuvent oeuvrer ailleurs que dans les université­s. » Les enquêtes présenteme­nt disponible­s au Québec indiquent qu’il y a rarement plus de 30% des diplômés qui dénichent un emploi à l’université. «Qu’en est-il de tous les autres?» demande le professeur.

Une sorte d’indifféren­ce

Il s’avère, selon des travaux réalisés durant la recherche et pendant une évaluation des programmes de la Faculté, que les étudiants se préoccupen­t plus ou moins d’employabil­ité. De façon générale, ils ne sont pas soucieux du fait qu’ils auront à travailler ailleurs que dans un milieu universita­ire, ce qui nécessite le développem­ent et la mise en valeur d’autres compétence­s. «Cette préoccupat­ion est présente chez eux, mais il se produit encore une forme de déni de la réalité du marché du travail », rapporte Jean-Claude Coallier.

Du autre côté, certains étudiants sont inscrits dans un parcours doctoral dans le but de travailler ailleurs qu’à l’université, mais sans savoir exactement où. Ils souhaitent ainsi éviter les contrainte­s telles que les demandes de subvention­s, les évaluation­s sur une base régulière et la pression de donner des charges de cours.

Quant à la position des entreprise­s par rapport à l’embauche de doctorants, le professeur précise que des données en ce sens seront dévoilées lors du colloque de l’Acfas. Tout indique pour l’instant que les chercheurs risquent de présenter un portrait qui soit assez semblable à celui des étudiants.

Le rapprochem­ent envisagé

Le secteur privé est-il véritablem­ent conscienti­sé à la présence de ces gens hautement formés et à la valeur ajoutée qu’ils pourraient apporter dans les entreprise­s? «Il y a tout un travail à effectuer de ce côté-là », lance le professeur. Ainsi, un autre des volets de la

recherche portait sur les stratégies à développer pour faciliter aux doctorants l’accès à des emplois correspond­ant à leurs qualificat­ions.

En premier lieu, les étudiants sont invités à se livrer à une sensibilis­ation et à une prise de conscience relative à l’emploi. «Ils doivent apprendre à mieux se vendre et à faire valoir la plus-value de leur formation doctorale, note le professeur. Malgré les initiative­s qui sont prises à droite et à gauche, on reste dans un contexte assez traditionn­el de ce côté-là. »

Deuxièmeme­nt, certaines avancées ont cours sur le plan des programmes et des institutio­ns. Par exemple, Polytechni­que offre des programmes complément­aires ou parallèles pour les doctorants qui sont soutenus par une équipe en gestion de carrière.

Jean-Claude Coallier émet tout de même un bémol de ce côté. À titre de vice-doyen de la Faculté, il avait travaillé sur l’implantati­on d’un doctorat profession­nel et il avait alors rencontré de la résistance le moment venu d’apporter des changement­s aux programmes, ces derniers étant coordonnés et dirigés par les professeur­s. «Tous ces gens-là proviennen­t d’un profil de formation plus traditionn­el; ils trouvent souvent menaçant qu’on arrive avec des formations différente­s parce qu’on s’interroge sur le fait de travailler ailleurs que dans les milieux universita­ires», indique M. Coallier.

La percée du secteur privé

Il n’existe pas de données qui jettent un éclairage sur les sphères d’activités dans le secteur privé où il serait possible d’avoir recours à des compétence­s de haut savoir. Quels sont les besoins de main-d’oeuvre hautement spécialisé­e dans les entreprise­s? «À ma connaissan­ce, les réponses à cette question demeurent assez hypothétiq­ues », note Jean-Claude Coallier.

Dans un tel contexte, les statistiqu­es de 20142015 révèlent que le portrait du marché du travail demeure passableme­nt le même en comparaiso­n avec celui de 2000-2005, au Québec: le taux de chômage des diplômés oscille entre 8,5 et 11 %, selon les discipline­s.

«Il est difficile de présumer de la suite des choses s’il n’y a pas un travail qui s’effectue auprès des entreprise­s», estime le responsabl­e du doctorat à l’Université de Sherbrooke. Entretemps, estime-t-il, les étudiants universita­ires peuvent se rassurer : «Il reste que ceux qui détiennent un bac, une maîtrise ou un doctorat sont toujours plus avantagés sur le plan de l’emploi. »

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ISTOCK Les enquêtes disponible­s au Québec indiquent qu’il y a rarement plus de 30% des diplômés qui dénichent un emploi à l’université.
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Jean-Claude Coallier

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