Le Devoir

Japon. La Constituti­on pacifiste modifiéeen 2020?

- JEAN-FRÉDÉRIC LÉGARÉ-TREMBLAY

Le Japon se lance dans une longue bataille… politique. Le premier ministre, Shinzo Abe, a annoncé la semaine dernière son intention de modifier d’ici 2020 la Constituti­on pacifiste du pays, un document inchangé depuis l’après-guerre et sacré pour bien des Japonais.

Shinzo Abe a choisi un moment hautement symbolique pour annoncer son projet: le 3 mai, jour de la Constituti­on, qui fêtait alors ses 70 ans. La loi fondamenta­le de l’archipel a été adoptée sous l’occupation américaine après la défaite du Japon lors de la Deuxième Guerre mondiale. Le pacifisme est l’un des piliers de l’identité nationale d’après-guerre, et il est inscrit noir sur blanc dans la Constituti­on.

L’article 9 indique que «le Japon renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation» et que, pour atteindre ce but, «il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre ».

C’est ce dernier bout de phrase que Shinzo Abe voudrait voir modifié. « Je crois que nous devons établir explicitem­ent le statut des Forces d’autodéfens­e [les FDA, nom donné aux forces armées] dans la Constituti­on […] et ne laisser aucune marge à l’idée que les FDA pourraient être inconstitu­tionnelles », a-t-il déclaré mercredi dernier.

Grande puissance

Malgré le texte de l’article 9, le Japon dispose bel et bien d’une armada capable de tenir la dragée haute à la majorité des pays de la planète. Elle compte quelque 250 000 soldats, 1600 avions et hélicoptèr­es et 155 bâtiments navals. Le Japon est l’une des cinq plus grandes puissances navales au monde.

Malgré la contrainte constituti­onnelle qui limite ses dépenses militaires à 1% du produit intérieur brut, le Japon détient un budget d’environ 46 milliards pour la Défense, ce qui le place au huitième rang mondial, tout juste derrière la France et la Grande-Bretagne, selon le Stockholm Internatio­nal Peace Research Institute.

Le changement recherché par Shinzo Abe, qui a aussi affirmé que le Japon devait conser ver «l’idée du pacifisme», n’est-il donc qu’une simple modificati­on cosmétique ? En pratique, oui, puisque les forces armées existent déjà, mais le changement «pourrait symbolique­ment représente­r un Japon qui est désireux de s’adapter aux changement­s [géopolitiq­ues] autour de lui et qui n’est pas contraint par le passé », a déclaré à CNN Corey Wallace, un expert de la sécurité du Japon à l’Université libre de Berlin.

Vieux projet

C’est la première fois que le premier ministre japonais fixe une échéance (2020) à son projet de changement. Mais ses intentions, elles, sont connues depuis longtemps.

Il y a un peu plus de deux ans, M. Abe est parvenu à faire modifier à la majorité simple à la Diète, le Parlement japonais, une série de lois réinterpré­tant (et non « modifiant », nuance…) la Constituti­on. La politique de défense de l’archipel s’est alors inscrite à l’enseigne de l’« autodéfens­e collective ». Nuance langagière, certes, mais aux conséquenc­es réelles, puisqu’il est dès lors devenu possible pour les FAD d’intervenir auprès d’alliés tels les États-Unis et l’Australie en cas d’attaque contre ceux-ci.

Elle a ouvert la voie — ou les eaux — au déploiemen­t de navires japonais la semaine dernière auprès de bâtiments de guerre américains pour des exercices communs. Cette collaborat­ion s’inscrivait dans le cadre d’une démonstrat­ion de force des Américains dans la foulée des menaces proférées par la Corée du Nord à l’égard de ses ennemis, dont le Japon et les États-Unis.

L’ambition de changer la Constituti­on est inscrite depuis longtemps dans la charte du Parti libéral-démocrate, auquel Shinzo Abe appartient. Mais l’opinion publique japonaise, fortement attachée au pacifisme et historique­ment réfractair­e à ce projet, a rendu sa réalisatio­n impossible jusqu’ici sur le plan politique.

Climat favorable

Sauf que l’opinion publique et le contexte politique montrent des signes encouragea­nts pour Abe, qui y verrait un climat favorable. «Plus que l’existence de menaces extérieure­s [dont la Corée du Nord et la montée en puissance de la Chine], je crois que le premier ministre Abe se soucie davantage de l’atmosphère dans l’opinion publique, affirme au Devoir Yuichi Hosoya, professeur de relations internatio­nales à l’Université Keio, au Japon. La faiblesse du parti d’opposition, le Parti démocrate, est aussi l’une des principale­s raisons pour lesquelles M. Abe pense qu’il pourra avoir gain de cause. Bien sûr, la menace nord-coréenne l’aide à combattre la position du Parti démocrate voulant qu’un changement constituti­onnel ne soit pas nécessaire.»

La coalition gouverneme­ntale a plus des deux tiers des députés dans la chambre basse de la Diète et est à quelques sièges de ce seuil dans la Chambre haute. Il faut les deux tiers des voix dans les deux chambres pour modifier la Constituti­on.

Le projet de changement doit ensuite être approuvé par référendum national. Les enquêtes d’opinion indiquent que l’opinion publique se réchauffe à l’idée d’un changement, mais le compte n’y est pas encore. Un sondage récemment publié par le quotidien Asahi Shimbun indique que 41 % de la population y est favorable. Le taux grimpe à 45 % selon un autre coup de sonde effectué pour le compte de l’agence de presse Kyodo News.

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SHIZUO KAMBAYASHI ASSOCIATED PRESS Shinzo Abe a choisi un moment hautement symbolique pour annoncer son projet : le 3 mai, jour de la Constituti­on, qui fêtait ses 70 ans.

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